Herge fils de Tintin
peu plus juif que soi. »L’illustration d’Hergé n’a rien à lui envier : les juifs en
question ont tous les traits des caricatures antisémites du
moment, et par exemple de celles que Paul Jamin – « le
célèbre caricaturiste politique dont la renommée a
depuis longtemps dépassé nos frontières 10 » – publie
dans le Brüsseler Zeitung . Le dessinateur, pour la première fois, a franchi la ligne rouge. Et ce petit livre
introuvable reste l’un des éléments régulièrement invoqués contre lui 11 .
Il y a beaucoup plus grave. La dixième aventure de
Tintin, L’Étoile mystérieuse , constitue de toute évidence la
pièce à charge majeure contre Hergé. C’est d’autant plus
triste que le récit, dont le début et la fin se répondent de
manière subtile, est par ailleurs d’une grande puissance et
d’une construction étonnante.
L’histoire commence comme une apocalypse : une
gigantesque météorite se rapproche de la Terre et menace
de l’anéantir. L’asphalte fond dans les rues et les rats sortent des égouts, paniqués. Tandis qu’à l’Observatoire le
professeur Calys se perd dans ses calculs, un certain “Philippulus le Prophète” annonce la fin du monde et appelle
à la repentance. On pourrait voir dans ce personnage halluciné une caricature du maréchal Philippe Pétain, mais il
représente au moins autant Philippe Gérard, cet ami de
jeunesse dont les sinistres prédictions agaçaient de plus en
plus Hergé.
La collision annoncée n’a pas lieu. Seul un fragment du
mystérieux aérolithe tombe finalement à proximité du
pôle Nord, et deux expéditions rivales se lancent à la
recherche du « calystène ». C’est leur antagonisme brutal
qui va valoir à Hergé une première série de critiques. Car,
au lendemain de l’entrée en guerre des États-Unis après le
désastre de Pearl Harbor, la composition des deux groupes
est loin d’être neutre, comme l’a expliqué l’historien
Pascal Ory :
Le drapeau ennemi brandi à plusieurs reprises par l’équipage
du Peary , aujourd’hui bannière de fantaisie, n’était ni plus ni
moins, en 1942, que le drapeau américain… Par la suite, la
signification, aujourd’hui anodine, de l’expédition organisée
avec l’aide de Tintin et d’Haddock par le « Fonds européen
de recherches scientifiques » devient quelque peu ambiguë,
surtout si l’on examine avec mauvais esprit la composition
nationale, curieusement explicitée sur toute une demi-page,
de l’équipage scientifique : un Suisse et un Suédois, sans
doute, mais accompagnés d’un Portugais, d’un Espagnol et
d’un Allemand, « Herr Doktor Otto Schulze, de l’Université
d’Iéna ». Qu’Hergé le veuille ou non, ce thème d’une Europe
soigneusement triée, repris fréquemment par la presse collaborationniste, a, en 1942, un sens politique très précis 12 .
Cette critique est un brin excessive : ni ces savants ni
leur nationalité ne tiennent une grande place dans l’histoire. Mais il était pour le moins cavalier de la part
d’Hergé d’affirmer, trente ans après la parution de cet
album, qu’il traitait « de la rivalité pour le progrès entre
l’Europe et les États-Unis 13 ». Au moment de l’entrée enguerre des Américains, la présentation qu’il en fait est plus
que tendancieuse. D’autant que, pour tout arranger, Hergé
met en évidence l’hydravion Arado 196-A, fierté de l’armée
allemande et « terreur des sous-marins anglais 14 ».
Selon le témoignage d’Albert Dellicour – ancien
condisciple de Paul Remi à Saint-Boniface qui partagea
avec lui cinq ans de captivité en Allemagne –, le rôle que
Hergé accordait aux Américains suscita des remous dans
le camp de prisonniers. « Un jour de fin 41 ou de
début 42, Paul Remi est devenu vert de rage en regardant
la bande dessinée de son frère dans ce que nous appelions Le Soir “volé”. […] Il s’agissait de L’Étoile mystérieuse . On
y voyait le canot des “mauvais” voguant vers la fameuse île
et arborant le fanion américain. […] Il s’en est suivi, je
crois, des lettres enflammées, dont Hergé n’a pas pu lire
grand-chose : ce genre de littérature passait généralement
par la censure des camps de prisonniers 15 . » Mais il est
clair que l’incident dut peser lourdement sur les relations
ultérieures des deux frères.
Le cas Blumenstein est plus problématique encore : ce
financier dénué de tout
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