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direction
exactement opposée à celle de Klein, comme il aurait semblé naturel à environ
99 % du genre humain confronté à une situation semblable, c’est-à-dire une
situation où il s’agit de, très rapidement, prendre la fuite face à un nazi
armé qui a au moins une bonne raison de vous en vouloir à mort, il choisit de
pédaler vers le tramway, d’où les passagers suffocants ont commencé à s’extraire,
décrivant un angle, par rapport à Klein, inférieur à 90°. Je n’aime pas me
mettre dans la tête des gens mais je crois pouvoir expliquer le calcul de
Kubiš, qui est d’ailleurs peut-être double. D’une part, pour conjurer la
relative lenteur du démarrage, et prendre de la vitesse le plus rapidement
possible, il engage sa bicyclette dans le sens de la descente. Il a très
vraisemblablement estimé que pédaler en côte avec un SS énervé dans son dos ne
serait pas une option payante. D’autre part, pour avoir une chance, même
infime, de s’en sortir vivant, il doit répondre à deux exigences
contradictoires : ne pas s’exposer et se mettre hors de portée des tirs
ennemis. Mais pour se mettre hors de portée, il faut d’abord franchir une
certaine distance qui reste irréductiblement à découvert. Kubiš fait le pari
inverse de Gabčík, il tente sa chance maintenant. Mais il ne s’en remet
pas exactement au hasard : ce tramway, dont les parachutistes redoutaient
la présence inopportune depuis qu’ils avaient arrêté leur choix sur le virage
d’Holešovice, Kubiš décide de s’en servir. Les passagers qui en sont descendus
sont trop peu nombreux pour faire une foule, mais il va quand même essayer de
les utiliser comme un rideau. Je suppose qu’il ne compte pas trop sur les
scrupules d’un SS pour ne pas tirer à travers un groupe de civils innocents
mais au moins la visibilité du tireur sera réduite. Ce plan d’évasion me paraît
génialement conçu, surtout si l’on songe que l’homme à qui il appartient vient
d’être soufflé par une déflagration, qu’il a du sang dans les yeux, et qu’il a
disposé d’à peu près trois secondes pour l’élaborer. Cependant il reste un
moment où Kubiš ne peut s’en remettre qu’à la chance pure, celui qui le sépare
du rideau des passagers suffocants. Or, le hasard, comme souvent, ma foi,
décide de distribuer équitablement ses hoquets : Klein, encore choqué par
l’explosion, se crispe sur son arme, le percuteur, la gâchette, la culasse ou
je ne sais quoi, qui s’enraye à son tour. Le plan de Kubiš va donc réussir ?
Non, car le rideau des passagers se dresse un peu trop compact devant lui. Dans
le tas, certains ont déjà repris leurs esprits et, qu’ils soient allemands,
sympathisants, avides d’exploit ou de récompense, ou bien terrorisés à l’idée
qu’on puisse les accuser de complicité, ou encore, pour les autres, tout
simplement tétanisés et incapables de bouger d’un centimètre, ils ne semblent
pas disposés à s’écarter sur son passage. Qu’un seul d’entre eux ait manifesté
la velléité de l’appréhender, j’en doute, mais peut-être ont-ils arboré un air
vaguement menaçant. On en arrive donc à cette scène burlesque (dans chaque
épisode, il en faut une, semble-t-il) où Kubiš, à vélo, tire des coups de feu
en l’air pour se frayer un passage à travers les usagers du tram éberlués. Et il
passe. Klein, stupide, comprend que sa proie lui échappe, se souvient qu’il a
un patron à protéger et se retourne vers Heydrich, qui continue à tirer. Mais
soudain, le corps du Reichsprotektor tourne sur lui-même et s’effondre. Klein
accourt. Le silence qui suit l’arrêt des coups de feu ne tombe pas dans
l’oreille d’un sourd. Gabčík décide que s’il veut à son tour tenter sa
chance, c’est maintenant ou jamais. Il quitte l’abri précaire de son poteau
télégraphique et se remet à courir. Il a déjà récupéré toutes ses facultés et
lui aussi parvient à réfléchir : pour optimiser les chances de Kubiš, il
doit prendre une direction différente. Du coup, lui attaque la côte. L’analyse
n’est pas, toutefois, absolument sans faille puisque ce faisant, il se dirige
vers le poste d’observation de Valičík. Mais Valičík, pour l’instant,
n’est pas identifié comme un participant à l’opération. Heydrich parvient à se
redresser sur un coude. À Klein qui vient à sa rencontre, il aboie :
« Rattrape le Schweinehund ! » Klein parvient
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