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HHhH

HHhH

Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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Résistance que vous avez brisée ; maintenir tout
l’appareil de production tchèque au service de l’effort de guerre
allemand ; poursuivre le processus de germanisation que vous avez engagé
et dont vous avez défini les modalités.
    En songeant à votre passé comme
à votre futur vous êtes submergé par un immense sentiment d’autosatisfaction.
Vous serrez votre sacoche de cuir posée sur vos genoux. Vous pensez à Halle, à
la marine, à la France qui vous attend, aux Juifs qui vont mourir, à ce Reich
immortel dont vous aurez posé les fondations les plus solides, enterré les
racines les plus profondes. Mais vous oubliez le présent. Votre instinct de
policier est-il engourdi par les rêveries qui traversent votre cerveau tandis
que file la Mercedes ? Vous ne voyez pas en cet homme qui porte un
imperméable sous le bras par cette chaude journée de printemps et qui traverse
devant vous l’image de votre présent qui vous rattrape.
    Que fait-il, cet
imbécile ?
    Il s’arrête au milieu de la
route.
    Pivote d’un quart de tour pour
faire face à la voiture.
    Croise votre regard.
    Fait voler son imperméable.
    Découvre une arme automatique.
    Pointe l’arme dans votre
direction.
    Vise.
    Et tire.
218
    Il tire et rien ne se passe. Je
ne sais pas comment éviter les effets faciles. Rien ne se passe. La détente
résiste ou au contraire se dérobe mollement et percute le vide. Des mois de
préparation pour que la Sten, cette merde anglaise, s’enraye. Heydrich, là, à
bout portant, à sa merci, et l’arme de Gabčík ne fonctionne pas. Il presse
la détente et la Sten, au lieu de cracher des balles, se tait. Les doigts de
Gabčík se crispent sur la tige de métal inutile.
    La voiture s’est arrêtée, et
cette fois, le temps s’est vraiment arrêté. Le monde entier ne bouge plus, ne
respire plus. Les deux hommes, dans la voiture, sont médusés. Seul le tramway
continue sa course comme si de rien n’était, à ceci près que quelques passagers
ont déjà ce même regard pétrifié, car ils ont vu ce qui se passait,
c’est-à-dire rien. Le crissement des roues sur l’acier des rails déchire le
temps arrêté. Rien ne se passe, sauf dans la tête de Gabčík. Dans sa tête,
ça tourbillonne, et ça va très vite. Je suis absolument convaincu que si
j’avais pu être dans sa tête à cet instant précis j’aurais eu de quoi raconter
pour des centaines de pages. Mais je n’étais pas dans sa tête et je n’ai pas la
moindre idée de ce qu’il a ressenti, je ne pourrais même pas trouver, dans ma
petite vie, une circonstance qui m’aurait fait approcher d’un sentiment, même
très dégradé, ressemblant à celui qui l’a envahi à cet instant. De la surprise,
de la peur, avec un torrent d’adrénaline qui déferle dans les veines comme si
toutes les vannes de son corps s’étaient ouvertes en même temps.
    « Nous qui mourrons
peut-être un jour, disons l’homme immortel au foyer de l’instant. » Je
crache sur Saint-John Perse mais je ne crache pas forcément sur sa poésie.
C’est ce vers que je choisis maintenant pour rendre hommage à ces combattants
bien qu’ils soient au-dessus de tout éloge.
    Certains ont émis une
hypothèse : la Sten était dissimulée dans une sacoche que Gabčík
avait remplie d’herbe, pour cacher l’arme. Drôle d’idée ! Comment
justifier, en cas de contrôle, que l’on se promène en ville avec une sacoche
pleine de foin ? Eh bien, c’est facile, il suffit de répondre que c’est
pour le lapin. Nombreux les Tchèques, en effet, qui, pour améliorer leur
ordinaire, élevaient des lapins chez eux, et qui allaient ramasser dans les
parcs de quoi les nourrir. Quoi qu’il en soit, c’est cette herbe qui se serait
insinuée dans le mécanisme.
    Donc la Sten ne tire pas. Et
tout le monde reste figé de stupeur pendant de très longs dixièmes de secondes.
Gabčík, Heydrich, Klein, Kubiš. C’est tellement kitsch ! tellement
western ! ces quatre hommes changés en statues de pierre, tous le regard
braqué sur la Sten, tous faisant tourner leur cerveau à une vitesse folle, une
vitesse inconcevable pour des hommes ordinaires. Au bout de cette histoire, il
y a ces quatre hommes dans ce virage. Et en plus il y a un deuxième tramway qui
arrive derrière la Mercedes.
219
    Autant dire qu’on n’a pas toute
la journée. C’est à Kubiš d’entrer en action, Kubiš que les deux Allemands,
médusés par l’apparition de Gabčík, n’ont pas

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