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HHhH

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Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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vu, dans leur dos, le calme
et gentil Kubiš, sortir une bombe de sa sacoche.
220
    Médusé, je le suis moi aussi,
par la lecture de Central Europe , de William T. Vollmann, qui vient
de paraître en français. Fébrile, je lis enfin le livre que j’aurais aimé
écrire, et je me demande, à la lecture du premier chapitre, qui dure, qui dure,
combien de temps va-t-il tenir, ce style, ce ton, cette sourdine, incroyable.
En fait, il ne dure que huit pages, mais huit pages magiques durant lesquelles
les phrases défilent comme dans un rêve, on n’y comprend rien, et on comprend
tout. La voix de l’Histoire résonne peut-être pour la première fois avec cette
justesse et je suis frappé par cette révélation : l’Histoire est une
pythie qui dit « nous ». Le premier chapitre s’intitule « Acier
en mouvement » et je lis : « Dans un instant, l’acier va entrer
en mouvement, lentement au début, comme des trains de troupe quittant les
gares, puis plus vite et partout, les foules en carrés d’hommes casqués
s’avançant, flanquées de rangées d’avions qui brillent ; et ensuite les
tanks, les avions et autres projectiles dans une accélération sans
rémission. » Et plus loin : « Toujours prêt à émerveiller le
somnambule, Göring promet que suivront en un éclair cinq cents autres avions
autopropulsés. Puis il file à un rendez-vous galant avec la vedette de cinéma
Lida Baarova. » La Tchèque. Je dois faire attention, quand je cite un
auteur, à couper mes citations toutes les sept lignes. Pas plus de sept lignes,
comme les espions au téléphone, pas plus de trente secondes, pour ne pas se
faire localiser. « À Moscou, le maréchal Toukhatchevski annonce que les
opérations de la prochaine guerre seront pareilles à des entreprises de grande
manœuvre se déployant à une échelle massive . Il sera aussitôt abattu. Et
les ministres du Central Europe, qui eux aussi seront abattus, apparaissent sur
des balcons supportés par de marmoréennes femmes nues, où ils prononcent des
discours rêveurs, tout en guettant la sonnerie du téléphone. » Dans le
journal, quelqu’un m’explique : c’est un récit « de basse
intensité », un « roman merveilleux plus qu’historique » dont la
lecture « demande une écoute flottante ». Je comprends. Je m’en
souviendrai.
    Où en étais-je ?
221
    J’en suis exactement là où je
voulais en venir. Un volcan d’adrénaline embrase le virage d’Holešovice. C’est
le moment précis où la somme de micro-décisions individuelles, uniquement mues
par les forces de l’instinct et de la peur, va permettre à l’Histoire de
connaître l’un de ses soubresauts, ou de ses hoquets, les plus sonores.
    Le corps de chacun prend ses
responsabilités. Klein, le chauffeur, ne redémarre pas, et c’est une erreur.
    Heydrich se lève et dégaine.
Deuxième erreur. Si Klein avait fait preuve de la même vivacité qu’Heydrich, ou
si Heydrich était resté tétanisé sur son siège comme Klein, alors sans doute
tout aurait été différent, et je ne serais peut-être même pas là à vous parler.
    Le bras de Kubiš décrit un arc
de cercle, et la bombe s’envole. Mais personne, décidément, ne fait jamais
exactement ce qu’il doit faire. Kubiš vise le siège avant mais la bombe
atterrit à côté de la roue arrière droite. Néanmoins, elle explose.

 
     
Deuxième partie
    « Une rumeur
alarmante vient de Prague. »
    Journal de Göbbels,
28 mai 1942
222
    La bombe explose, et souffle
instantanément les vitres du tramway d’en face. La Mercedes décolle d’un mètre.
Des éclats frappent Kubiš au visage et le projettent en arrière. Un nuage de
fumée inonde l’espace. Des cris jaillissent du tramway. Une veste de SS, posée
sur la banquette arrière, s’envole. Pendant quelques secondes, les témoins
suffoqués ne verront plus qu’elle : cette veste d’uniforme flottant dans
les airs au-dessus d’un nuage de poussière. Moi, en tout cas, je ne vois
qu’elle. La veste comme une feuille morte décrit dans l’air d’amples
circonvolutions tandis que l’écho de la déflagration s’en va tranquillement
résonner jusqu’à Berlin et Londres. Seuls le son qui se propage et la veste qui
volette bougent. Il n’y a aucun autre signe de vie dans le virage d’Holešovice.
Je parle en secondes, désormais. La seconde suivante, ce sera autre chose. Mais
là, ici, en cette matinée claire du mercredi 27 mai 1942, le temps

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