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HHhH

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Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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régions les plus riches d’Europe, cinq fois plus riche que la
Bavière, par exemple.
    Mais celui que l’on surnomme
« le roi de fer et d’or », ce qui, soit dit entre parenthèses, ne
rend guère justice au métal qui fit sa fortune, ne veut pas, comme tous les
rois, se contenter de ce qu’il a. Il sait que la prospérité du royaume est
étroitement liée à ses mines d’argent, et il veut en accélérer l’exploitation.
Tous ces gisements qui dorment, encore inviolés, lui ôtent le sommeil. Il lui
faut plus de main-d’œuvre. Et les Tchèques sont des paysans, pas des mineurs.
    Otakar, songeur, contemple
Prague, sa ville. Des hauteurs de son château, il aperçoit les marchés qui
prolifèrent autour de l’immense pont Judith, l’un des premiers édifiés en
pierre pour remplacer les anciens faits de bois, situé sur l’emplacement du
futur pont Charles, qui relie la Vieille Ville au quartier de Hradčany,
pas encore Mala Strana. De petits points colorés s’affairent autour de
marchandises en tout genre, étoffes, viande, fruits et légumes, bijoux, métaux
ouvragés. Tous ces commerçants sont allemands, il le sait. Les Tchèques sont un
peuple de terriens, pas de citadins, et il y a peut-être une pointe de regret,
sinon de mépris, dans cette réflexion du souverain. Otakar sait aussi que ce
sont les villes qui font le prestige des royaumes, et qu’une noblesse digne de
ce nom ne reste pas sur ses terres, mais vient former ce que les Français
appellent la cour, auprès du roi. À l’époque, toute l’Europe s’évertue à copier
ce modèle, et Otakar, comme les autres, n’échappe pas à l’influence de la
courtoisie française, mais la France pour lui ne possède qu’une réalité
lointaine et donc assez abstraite. Quand Otakar pense à ce beau concept de
chevalerie, ce sont des chevaliers teutoniques qu’il se représente, parce qu’il
a combattu à leurs côtés en Prusse, pendant la croisade de 1255. N’a-t-il pas
lui-même fondé Königsberg à la pointe de son épée ? Otakar est
entièrement tourné vers l’Allemagne parce que les cours allemandes incarnent à
ses yeux la noblesse et la modernité. Pour en faire profiter son royaume, il a
décidé, contre l’avis de son conseiller palatin et surtout contre l’avis du
prévôt de Vyšehrad, son chancelier, d’engager une vaste politique d’immigration
allemande en Bohême, justifiée par les besoins de main-d’œuvre pour ses mines.
Il s’agira d’inciter des centaines de milliers de colons allemands à venir
s’implanter dans son beau pays. En les favorisant, en leur accordant des
privilèges fiscaux, et des terres, Otakar espère du même coup trouver des
alliés qui affaibliront les positions de la noblesse locale, les Ryzmburk, les
Vítek, les Falkenštejn, toujours trop menaçants et avides, qui ne lui inspirent
que défiance et dédain. L’Histoire montrera, avec la montée en puissance du
patriciat allemand à Prague, à Jihlava, à Kutná Hora, puis dans toute la Bohême
et la Moravie, que la stratégie n’était que trop bonne, même si Otakar ne vivra
pas assez pour en profiter.
    Mais à long terme, il
s’agissait quand même d’une très mauvaise idée.
56
    Au lendemain de l’Anschluss,
l’Allemagne, avec une prudence qu’on ne lui connaissait pas, multiplie les
communiqués d’apaisement adressés à la Tchécoslovaquie : celle-ci n’a
aucunement à craindre une agression prochaine, quand bien même l’annexion de
l’Autriche, et le sentiment d’encerclement qu’elle engendre, pourrait
légitimement inquiéter les Tchèques.
    Ordre est d’ailleurs donné,
pour éviter toute tension inutile, que les troupes allemandes qui pénètrent en
Autriche ne s’approchent nulle part à moins de 15 ou 20 kilomètres de la
frontière tchèque.
    Mais dans les Sudètes, la
nouvelle de l’Anschluss provoque un enthousiasme extraordinaire. Aussitôt on ne
parle plus que de ce fantasme ultime : le rattachement au Reich. Les
manifestations, les provocations se multiplient. Une atmosphère de conspiration
généralisée s’installe. Les tracts, les brochures de propagande prolifèrent.
Les fonctionnaires et les employés allemands entreprennent de saboter
systématiquement les ordres du gouvernement tchécoslovaque visant à contenir
l’agitation séparatiste. Le boycott des minorités tchèques dans les zones de
langue allemande prend une ampleur sans précédent. Beneš dira dans ses

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