HHhH
priver
les Juifs de leurs moyens de vivre – et pas seulement dans la sphère
économique. L’Allemagne doit être un pays sans avenir pour eux. Seule la
vieille génération doit être autorisée à mourir ici en paix, mais pas les
jeunes, en sorte que subsiste l’incitation à émigrer. Quant aux moyens,
l’antisémitisme bagarreur doit être rejeté. On ne combat pas les rats avec un
revolver, mais avec du poison et des gaz. »
Métaphore, fantasme,
inconscient qui affleure, en tous les cas, on sent que ce chef de service a
déjà une idée derrière la tête. Le rapport date de mai 1934 : un
visionnaire !
54
Au cœur de la vieille Bohême
ancestrale, à l’est de Prague, sur la route d’Olomouc, se dresse une petite
ville. Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, Kutná Hora possède des
ruelles pittoresques, une belle cathédrale gothique, et surtout un magnifique
ossuaire, véritable curiosité locale où s’entremêlent des crânes humains pour
former des voûtes et des ogives à la blancheur sépulcrale.
En 1237, Kutná Hora ne peut pas
se douter qu’elle porte en ses entrailles le germe infectieux de l’Histoire,
qui s’apprête encore à ouvrir l’un de ses chapitres ironiques, longs et cruels,
dont elle a le secret. Celui-là va durer sept cents ans.
Venceslas I er ,
fils de Přemysl Otakar I er , apparenté à la glorieuse et
fondatrice lignée des Přemyslides, règne sur les contrées de Bohême et de
Moravie. Le souverain a épousé une princesse allemande, Kunhuta, fille de
Philippe de Souabe, roi de Rome et gibelin, c’est-à-dire affilié à la
redoutable maison des Hohenstaufen. Dans la querelle des guelfes, alliés au
pape, et des gibelins, partisans de l’empereur, Venceslas a donc choisi le camp
du Saint Empire romain germanique, et si celui-ci durant cette période subira
des revers infligés par la Curie pontificale, le pouvoir de celui-là se
trouvera renforcé par cette alliance. En attendant, le lion à queue bifide orne
désormais les armoiries du royaume, remplaçant le vieil aigle flammé. Le pays
se hérisse de donjons. L’esprit de chevalerie souffle.
Prague aura bientôt sa
synagogue Vieille-Neuve.
Kutná Hora n’est encore qu’un
petit bourg, pas l’une des plus grandes villes d’Europe.
Ce pourrait être comme une
scène de western moyenâgeux. À la nuit tombée, une taverne falstafféenne
accueille les habitants de Kutná Hora ainsi que les rares voyageurs. Les
habitués boivent et plaisantent avec les serveuses dont ils pincent les fesses,
les voyageurs mangent et se taisent, fatigués, les voleurs observent et
préparent leurs mauvais coups devant des verres qu’ils ne touchent presque pas.
Dehors, il pleut, et de l’écurie voisine on entend quelques hennissements. Sur
le seuil apparaît un vieil homme à barbe blanche. Son méchant vêtement est
trempé, ses chausses sont maculées de boue, son bonnet de toile ruisselle. Tout
le monde le connaît à Kutná Hora, c’est une sorte de vieux fou de la montagne,
et personne ne fait réellement attention à lui. Il commande à boire, et à
manger, et encore à boire. Il exige que l’on tue un cochon. Les rires fusent
aux tables voisines. Méfiant, l’aubergiste lui demande s’il a de quoi payer.
Alors un éclair de triomphe passe dans les yeux du vieil homme. Il pose sur la
table une petite bourse de mauvais cuir, dont il défait lentement les lacets.
Il en sort un petit caillou grisâtre qu’il soumet d’un air faussement négligent
à l’examen de l’aubergiste. Celui-ci fronce les sourcils, prend le caillou
entre ses doigts, le porte à hauteur du regard, à la lumière des torches
accrochées aux murs. La stupeur passe sur son visage et, soudain impressionné,
il a un mouvement de recul. Il a reconnu le métal. C’est une pépite d’argent.
55
Přemysl Otakar II,
fils de Venceslas I er , porte, tout comme son grand-père, le nom
de son aïeul, Přemysl le Laboureur qui, en des temps immémoriaux, fut pris
pour époux par la reine Libuše, légendaire fondatrice de Prague. Plus qu’aucun
autre, à ce titre, son grand-père excepté sans doute, Přemysl
Otakar II se sent dépositaire de la grandeur du royaume. Et, sur ce point,
personne ne peut l’accuser d’avoir démérité : grâce à ses ressources
argentifères, la Bohême a dégagé en moyenne, depuis le début de son règne, un
revenu annuel de 100 000 marks argent, ce qui en fait, au XIII e siècle,
l’une des
Weitere Kostenlose Bücher