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trop
célèbres pour disparaître du jour au lendemain sans laisser de trace, doivent
être installés à Terezín, dans des conditions décentes, afin de ménager
l’opinion allemande, tout de même quelque peu éberluée, en 1942, par la
politique du monstre qu’elle n’a pourtant cessé d’acclamer depuis 1933.
Pour que Terezín puisse servir
d’alibi, il faudra qu’en façade les Juifs aient l’air correctement traités.
C’est pourquoi les nazis autorisent les Juifs du ghetto à organiser une vie
culturelle relativement développée : spectacles et arts sont encouragés,
sous le contrôle vigilant des SS qui leur demandent en plus d’arborer leur plus
beau sourire. Les représentants de la Croix-Rouge, favorablement impressionnés
lors de leurs visites d’inspection, remettront des rapports très positifs sur
le ghetto, sa vie culturelle, et la façon dont les prisonniers sont traités.
Sur les 140 000 Juifs qui vivront à Terezín durant la guerre, seuls
17 000 survivront. D’eux, Kundera écrit :
« Les Juifs de Terezín ne
se faisaient pas d’illusions : ils vivaient dans l’antichambre de la
mort ; leur vie culturelle était étalée par la propagande nazie comme
alibi. Auraient-ils dû pour autant renoncer à cette liberté précaire et
abusée ? Leur réponse fut d’une totale clarté. Leur vie, leurs créations,
leurs expositions, leurs quatuors, leurs amours, tout l’éventail de leur vie
avait, incomparablement, une plus grande importance que la comédie macabre des
geôliers. Tel fut leur pari. » Il ajoute, à toute fin utile :
« Tel devrait être le nôtre. »
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Le président Beneš est
extrêmement soucieux, il n’est pas besoin de diriger des services secrets pour
s’en apercevoir. Londres évalue sans arrêt la contribution apportée à l’effort
de guerre par les différents mouvements clandestins des pays occupés. Or,
tandis que, conséquence de « Barbarossa », la France bénéficie de
l’entrée en action des groupes communistes, l’activité de la Résistance
tchèque, quant à elle, est pratiquement égale à zéro. Depuis qu’Heydrich a pris
les rênes du pays, les mouvements clandestins tchèques sont tombés les uns
après les autres, et le peu qui reste est largement infiltré par la Gestapo.
Cette inefficacité met Beneš dans une position très inconfortable : pour
l’instant, même en cas de victoire, l’Angleterre ne veut pas entendre parler
d’une remise en question des accords de Munich. Cela signifie que, même en cas
de victoire, la Tchécoslovaquie ne serait rétablie que dans ses frontières
d’après septembre 1938, amputée des Sudètes, loin de son intégrité
territoriale primitive.
Il faut faire quelque chose. Le
colonel Moravec écoute les plaintes amères de son président. Cette insistance
humiliante avec laquelle les Anglais comparent l’apathie des Tchèques au
patriotisme des Français, des Russes, même des Yougoslaves ! Ça ne peut
plus durer.
Mais comment faire ?
L’état de désorganisation dans laquelle elle est plongée rend vaine toute
injonction à la Résistance intérieure d’accroître ses activités. La solution
est donc ici, en Angleterre. Les yeux de Beneš ont dû briller, et je l’imagine
tapant du poing sur la table, lorsqu’il a expliqué à Moravec ce à quoi il
songeait : une action spectaculaire contre les nazis – un
assassinat préparé dans le plus grand secret par ses commandos parachutistes.
Moravec comprend le raisonnement
de Beneš : puisque la Résistance intérieure est moribonde, alors il faut
envoyer du renfort de l’extérieur – des hommes armés, entraînés et
motivés qui accompliront une mission dont les résonances seront à la fois
internationales et nationales. En effet, il s’agira d’une part d’impressionner
les Alliés en leur montrant qu’il ne faut pas compter pour rien la
Tchécoslovaquie, d’autre part de stimuler le patriotisme tchèque pour faire
renaître la Résistance de ses cendres. Je dis « patriotisme tchèque »,
mais je suis sûr que Beneš a dit « tchécoslovaque ». Je suis sûr
aussi que c’est lui qui a demandé impérativement à Moravec de choisir un
Tchèque et un Slovaque pour cette opération. Deux hommes pour symboliser
l’unité indivisible des deux peuples.
Toutefois, avant d’en arriver
là, il faut déjà déterminer la cible. Moravec pense aussitôt à son homonyme,
Emanuel Moravec, le ministre le plus engagé
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