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dans la voie de la collaboration,
sorte de Laval tchèque. Mais c’est une figure trop locale, la résonance internationale
serait nulle. Karl Hermann Frank est un peu plus connu, sa férocité et sa haine
des Tchèques est légendaire, et puis c’est un Allemand, et un SS. Il pourrait
faire une bonne cible. Mais après tout, tant qu’à choisir un Allemand, et un
SS…
J’imagine ce qu’a dû
représenter, tout spécialement pour le colonel Moravec, chef des services
secrets tchèques, la perspective d’assassiner l’Obergruppenführer Heydrich,
protecteur par intérim de Bohême-Moravie, le bourreau de son peuple, le boucher
de Prague, et aussi le chef des services secrets allemands, en quelque sorte
son homologue.
Oui, tant qu’à faire, pourquoi
pas Heydrich ?….
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J’ai lu un livre génial qui a
pour arrière-plan l’attentat contre Heydrich. C’est un roman écrit par un
Tchèque, Jiří Weil, qui s’intitule Mendelssohn est sur le toit .
Le roman tire son titre du
premier chapitre qui se lit presque comme une histoire drôle : des
ouvriers tchèques sont sur le toit de l’Opéra, à Prague, pour déboulonner une
statue de Mendelssohn, le compositeur, parce qu’il est juif. C’est Heydrich,
épris de musique classique et récemment nommé protecteur de Bohême-Moravie, qui
en a donné l’ordre. Mais il y a toute une rangée de statues et Heydrich n’a pas
précisé laquelle était Mendelssohn. Or, à part Heydrich, il semble que
personne, même parmi les Allemands, ne soit capable de le reconnaître. Mais
personne n’oserait déranger Heydrich pour ça. Le SS allemand qui supervise
l’opération décide donc d’indiquer aux ouvriers tchèques la statue qui a le
plus grand nez, puisqu’on cherche un Juif. Mais catastrophe : c’est Wagner
qu’on commence à déboulonner !
La méprise sera évitée de
justesse, et, dix chapitres plus loin, la statue de Mendelssohn finalement
abattue. Malgré leurs efforts pour ne pas l’abîmer, les ouvriers tchèques lui
casseront une main en la couchant. Cette anecdote cocasse est fondée sur des
faits réels : la statue de Mendelssohn a bien été renversée en 1941, et a
eu, comme dans le roman, une main cassée. Je me demande si la main a été
recollée depuis. En tout cas les pérégrinations du pauvre SS préposé aux
déboulonnages, imaginées par un homme qui a vécu à cette période, sont un sommet
de burlesque typique de la littérature tchèque, toujours imprégnée de cet
humour si particulier, doucereux et subversif, dont le saint patron est
Jaroslav Hašek, l’immortel auteur des aventures du brave soldat Chvéïk.
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Moravec observe l’entraînement
de ses commandos parachutistes. Des soldats en treillis courent, sautent et
tirent. Il remarque un petit homme agile et énergique, qui terrasse tous ses
adversaires au corps à corps. Il demande à l’instructeur, un vieil Anglais
ayant servi dans les colonies, comment l’homme se débrouille avec les
explosifs. « Un expert », répond l’Anglais. Et avec des armes à
feu ? « Un artiste ! » Son nom ? « Jozef
Gabčík. » Un nom à consonance slovaque. Il est immédiatement
convoqué.
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Le colonel Moravec s’adresse
aux deux parachutistes qu’il a sélectionnés pour la mission
« Anthropoïde », le sergent Jozef Gabčík et le sergent Anton
Svoboda, un Slovaque et un Tchèque, selon le souhait du président Beneš :
« Vous êtes informés, par
la radio et par les journaux, des assassinats insensés qui se commettent chez
nous, à la maison. Les Allemands tuent les meilleurs des meilleurs. Cependant
cet état de fait n’est que le signe de la guerre, donc il ne faut pas se
plaindre, ni pleurer, mais combattre.
Chez nous, les nôtres ont combattu
et maintenant ils se trouvent dans une situation qui limite leurs possibilités.
Notre tour est venu de les aider de l’extérieur. Une des tâches de cette aide
extérieure vous sera confiée. Le mois d’octobre est le mois de notre fête
nationale, la plus triste depuis notre indépendance. Il faut marquer cette fête
d’une manière éclatante. Il a été décidé que cela se ferait par un acte qui
entrerait dans l’histoire, au même titre que les assassinats commis contre les
nôtres.
À Prague se trouvent deux
personnes qui incarnent cette extermination : Karl Hermann Frank et
Heydrich, le nouvel arrivant. D’après nous, et conformément à l’avis de nos
chefs, il faut faire en sorte que
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