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HHhH

HHhH

Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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Leurs contacts dans la Résistance intérieure les attendent à
Pilsen. À Prague, ils n’ont aucune adresse. Ce sont les gens de Pilsen qui
doivent les introduire. Donc ils sont à proximité de Prague, et c’est bien là
qu’ils doivent se rendre, mais en passant par Pilsen. Ils ressentent tout
autant que vous l’absurdité de cet aller-retour, qui est pourtant nécessaire.
    Ils le ressentent lorsqu’on
leur apprend où ils sont, car sur le coup, ils n’en ont pas la moindre idée.
Ils se retrouvent dans un cimetière. Ils ne savent pas où cacher leurs
parachutes, et Gabčík boite bas car il s’est fracturé un orteil en posant
le pied sur son sol natal. Ils marchent sans savoir où ils vont, en laissant
des traces. Ils dissimulent rapidement leurs parachutes sous un tas de neige.
Ils savent que le jour va bientôt se lever, qu’ils sont gravement exposés, et
qu’ils doivent se cacher quelque part.
    Ils trouvent un abri rocheux
dans une carrière de pierres. Protégés de la neige et du froid mais pas de la
Gestapo, ils savent qu’ils ne peuvent pas rester, mais ils ne savent pas où
aller. Etrangers dans leur pays, perdus, blessés, déjà recherchés sûrement par
ceux qui n’auront pas manqué d’entendre dans le ciel les moteurs de l’avion qui
les a amenés, les deux hommes décident d’attendre, que faire d’autre ?
Penchés sur une carte, qu’espèrent-ils ? Y repérer l’emplacement de cette
minuscule carrière ? Leur mission menace d’avorter à peine amorcée, ou
bien, en admettant qu’ils ne soient jamais découverts, ce qui est une
supposition ridicule, de ne jamais commencer.
    Et en effet, ils sont
découverts.
    C’est un garde-chasse qui les
trouve au petit matin. Il a entendu l’avion dans la nuit, il a trouvé les
parachutes sous la neige, il a suivi les traces dans la neige. Il est entré
dans la grotte. Et il leur dit : « Bonjour, les gars ! » en
toussotant.
    Selon Edouard Husson, tout est
allé de travers dès le début, mais la chance aussi les a bien servis. Le
garde-chasse, qui sait qu’il risque sa vie, est un brave homme, et il va les
aider.
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    C’est une longue chaîne
résistante qui commence avec ce garde-chasse et qui va mener nos deux héros
jusqu’à Prague, et l’appartement des Moravec.
    La famille Moravec se compose
du père, de la mère, et du fils cadet, Ata, tandis que l’aîné est parti en
Angleterre piloter un Spitfire. Ce sont des homonymes du colonel Moravec, aucun
lien de parenté, mais, comme lui, ils combattent l’occupation allemande.
    Et ils ne sont pas les seuls.
Gabčík et Kubiš vont rencontrer beaucoup de ces petites gens prêts à
risquer leur vie pour leur venir en aide.
150
    C’est un combat perdu d’avance.
Je ne peux pas raconter cette histoire telle qu’elle devrait l’être. Tout ce
fatras de personnages, d’événements, de dates, et l’arborescence infinie des
liens de cause à effet, et ces gens, ces vrais gens qui ont vraiment existé,
avec leur vie, leurs actes et leurs pensées dont je frôle un pan infime… Je me
cogne sans cesse contre ce mur de l’Histoire sur lequel grimpe et s’étend, sans
jamais s’arrêter, toujours plus haut et toujours plus dru, le lierre
décourageant de la causalité.
    Je regarde une carte de Prague
sur laquelle sont pointés tous les appartements des familles qui ont aidé et
hébergé les parachutistes, engagement qu’elles ont presque toutes payé de leur
vie. Hommes, femmes et enfants, naturellement. La famille Svatoš, à deux pas du
pont Charles ; la famille Ogoun, près du Château ; les familles
Novák, Moravec, Zelenka, Fafek, situées plus à l’est. Chaque membre de chacune
de ces familles mériterait son propre livre, le récit de son engagement dans la
Résistance jusqu’à Mauthausen et son tragique dénouement. Combien de héros
oubliés dorment dans le grand cimetière de l’Histoire… Des milliers, des
millions de Fafek et de Moravec, de Novák et de Zelenka…
    Ceux qui sont morts sont morts,
et il leur est bien égal qu’on leur rende hommage. Mais c’est pour nous, les
vivants, que cela signifie quelque chose. La mémoire n’est d’aucune utilité à
ceux qu’elle honore, mais elle sert celui qui s’en sert. Avec elle je me
construis, et avec elle je me console.
    Aucun lecteur ne retiendra
cette liste de noms, pourquoi le ferait-il ? Pour que quoi que ce soit
pénètre dans la mémoire, il faut d’abord le transformer en littérature.

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