Hiéroglyphes
votre outre et
versez de l’eau dans ces rainures, avec un peu de sel.
— De
l’eau ?
— Salée.
Qui transmettra l’électricité, d’après
Benjamin Franklin. »
Ma
peau flambait, des pieds à la tête, et, bientôt,
les premières gouttes de pluie tombèrent comme des
plumes, vaporisées avant de toucher terre. La foudre frappa
vers l’ouest. Je reculai jusqu’au bord du plateau. Ned et
Mohammed m’y escortèrent. Personne d’autre ne
semblait s’inquiéter. Même Astiza, les yeux au
ciel, jamais sur moi, ne manifestait aucune appréhension.
La
tempête s’abattit comme une charge de cavalerie, dans une
trombe d’eau et de sable, et les nuages nous submergèrent
ballons gigantesques de pluie et de foudre. Des éclairs
frappaient les pics d’alentour. Plus près, encore plus
près. Comme une artillerie en cours de réglage.
D’énormes gouttes s’écrasèrent au
sol. Torrides et lourdes, plomb fondu plutôt que pluie. La
violence du vent nous frigorifiait, en dépit de la chaleur.
Puis il y eut un éclair aveuglant et la montagne trembla. Une
des deux tiges avait été touchée, des éclairs
jaillirent, une lueur bleue parcourut lentement les six branches de
l’étoile, y compris celle qui connectait les deux pôles.
Les
séraphins rougirent à blanc, pivotèrent vers le
nord-est avec leurs ailes déployées, de telle sorte
qu’une ligne fictive issue de l’un d’eux
rejoindrait l’autre à une vingtaine de mètres.
L’éclair avait frappé, et les deux tiges
métalliques, chargées, brillaient d’un éclat
pourpre assez semblable à celui qu’on avait rencontré
sous le mont du Temple, à Jérusalem. Puis des rayons
lumineux jaillirent des ailes de chaque séraphin et se
rencontrèrent à mi-chemin, composant un rayon unique
qui, telle une balle de fusil, atteignit le grand portail d’un
autre temple, foré dans la roche, à près de
trois kilomètres de là. Des étincelles
jaillirent en gerbe.
« C’est
ça ! » hurlèrent les acolytes de
Silano.
Le
rayon subsista un long moment, comme ceux du soleil égarés
dans une caverne obscure, puis s’estompa. Le plateau
s’assombrit. Étonné, j’examinai nos deux
tiges métalliques. Les séraphins avaient complètement
fondu, les deux piquets de tente étaient aplatis comme des
champignons dans leur partie supérieure. Silano levait les
deux bras, dans un élan triomphal. Astiza était rigide,
trempée jusqu’aux os, ses longues tresses noires
plaquées en travers des joues.
L’orage
s’éloignait vers l’est, mais, dans son sillage,
accouraient d’autres ondées nettement plus fraîches,
comme pour nettoyer l’air. Il pleuvait à verse. On
sentait dans l’air cette électricité induite qui
nous hérissait les cheveux. Le déluge emportait tout ce
qui n’avait pas été fermement fixé au
sommet des crêtes.
« Tout
le monde a bien repéré l’endroit ? demanda
Silano.
— J’irais
les yeux fermés ! s’empressa de répondre
Najac, avec une bonne touche de rapacité.
— L’œuvre
du diable ! murmura Gros Ned.
— Non,
l’œuvre de Moïse, contra Silano. Et de tous les
chevaliers du Temple qui ont cherché la vérité.
L’œuvre d’Allah ou de Jéhovah et pourquoi
pas ? de Thot. »
Ses
yeux lançaient littéralement des éclairs, comme
s’il avait emmagasiné de l’électricité.
Je
ne repousse pas la connaissance. J’avais la réputation
d’un savant, après tout, mais ses propos ne m’en
troublaient pas moins. Je me souvenais des sermons entendus dans ma
prime jeunesse et des promesses faites à Adam et Eve par le
serpent. Avec quel feu jouions-nous ? Et pourtant comment
auraient-ils pu refuser une pomme aussi tentante ?
Je
cherchai le regard d’Astiza, ma boussole morale. Mais
n’était-il pas normal qu’elle évitât
de me regarder ? Ce qui venait de se passer l’avait
bouleversée. Et profondément angoissée.
« Messieurs,
annonça Silano, je crois que nous allons vivre des moments
historiques. Hâtons-nous avant la nuit noire. Campons devant le
temple désigné et visitons-le à la première
lueur de l’aube.
— Ou
même cette nuit, avec des torches, proposa Najac, impatient.
— J’apprécie
votre zèle, Pierre, s’esclaffa Silano. Mais après
mille ans, je ne pense pas que nous dussions nous presser à ce
point. Monsieur Gage, comme toujours, votre compagnie a été
très intéressante et nous regretterons votre départ,
mais vous avez fait votre choix.
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