Hiéroglyphes
Epuisés, nous finîmes
par renoncer. Nous prîmes place sur des quartiers de roche.
« M’est
avis que ta théorie a foiré, cap’taine.
— Pas
encore, Ned, pas encore.
— Où
sont les fantômes ?
— Trop
préoccupés par leurs propres affaires pour se
manifester… j’espère ! Tu y crois ?
— J’en
ai vu. Des marins perdus qui errent sur le pont des frégates
quand on est de quart. Des naufragés, par gros temps. Ça
fait froid dans le dos, je te jure. Un bébé était
mort dans la maison que je louais à Portsmouth et, la nuit, on
l’entendait crier quand…
— Propos
de Satan, l’interrompit Mohammed. Il ne faut pas s’attarder
avec les morts.
— Alors,
revenons à nos moutons, messieurs. Il existe forcément
d’autres boyaux souterrains. La chasse au trésor conduit
fatalement sous terre.
— Si
encore on gagnait la paie d’un mineur…
— Demain
matin, Silano va pénétrer dans ce temple indiqué
par la foudre et trouver quelque chose ou pas. Je parie pour la
négative. On doit plus que jamais le battre de vitesse.
— Et
la fille ? rappela Ned. Tu la lui laisses aussi, cap’taine ?
— Elle
est censée nous revenir.
— Et
tu lui fais confiance ? On parie toujours à tort sur les
femmes. »
Je
haussai les épaules.
« La
vie elle-même est un pari incertain !
— J’aime
bien le murmure de la rivière, dit Mohammed, sans autre raison
probable que de changer de sujet. Un bruit qu’on entend
rarement dans le désert. »
On
écouta un instant. En effet, un ruisseau coulait quelque part
à proximité.
« C’est
la tempête, diagnostiqua Ned. La plupart du temps, ces ruines
doivent être plus sèches que le gosier d’un
ivrogne.
— Je
me demande où va cette eau, poursuivit Mohammed. On est dans
une espèce de cuvette. »
Je
me relevai d’un bond et tendis l’oreille. Où
allait cette eau ? Bonne question. Le désert avait bu
plus qu’à plus soif. Je redescendis vers le fond de la
cuvette et suivis la petite rivière provisoire, argentée
sous les étoiles, qui coulait vers l’ouest, vers les
montagnes. Et disparaissait.
Une
vieille colonne renversée jetait un pont, tel un arbre abattu,
en travers du ruisseau. D’un côté, la rive
murmurante, et, de l’autre côté, le sable et la
caillasse. Je me mouillai les pieds pour y regarder de plus près.
Il y avait là une fente horizontale, comme la paupière
d’un géant somnolent, et, dans cette ouverture, l’eau
s’engouffrait à flots. Je percevais le bruit d’une
cascade souterraine. Pas un œil de géant, non, plutôt
sa bouche. Le désert buvait à sa soif.
« Rappliquez
par ici. Je crois que j’ai trouvé notre trou. »
Ned
me rejoignit en trois bonds.
« Glisse-toi
là-dedans, cap’taine, et tu vas boire la tasse ! »
Un
risque à courir. Mais si j’avais deviné juste,
avec mes raisonnements boiteux ? Si les Templiers avaient
réellement caché dans ces ruines leur secret de
Jérusalem ? Je sentais que j’étais dans le vrai. Je ressortis du ruisseau et
jetai un coup d’œil alentour. Cette colonne était
la seule jetée par les intempéries en travers du cours
d’eau. Quelles étaient les chances que sa chute indiquât
une caverne de plus ? Une caverne, de surcroît, dont seule
une tempête exceptionnelle avait eu le pouvoir de révéler
la présence ?
J’allai
y voir de plus près encore. La colonne était tombée
de telle manière que son autre extrémité
saillait hors de l’ouverture comme une dent cassée. Les
abords de l’ouverture étaient curieusement dégagés.
Plus exempts de pierraille que le reste de l’environnement.
Quelqu’un, dans la nuit des temps, avait-il nettoyé ces
abords ? Quelqu’un qui avait déposé, pour
agir, sa cotte de mailles médiévale et sa tunique
blanche ornée d’une croix ?
« Ned,
aide-moi à creuser. Mohammed, prépare-nous d’autres
tresses de broussaille, pour faire des torches. » Ned
maugréait : « On continue, cap’taine ?
— Chasse
au trésor, tu te rappelles ? » Une petite
plate-forme de marbre en assez mauvais état se matérialisa
bientôt sous nos efforts de terrassement. L’espace d’un
instant, j’imaginai quelle apparence devait posséder
cette ville quand piliers, arches et colonnes composaient un
véritable décor urbain, avec des boutiques animées,
des tavernes, des fontaines, des arbres fruitiers et des chameaux
d’Arabie chargés de marchandises
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