Hiéroglyphes
C’est
pourquoi même la cruauté n’est pas un péché. »
On
ressortit lentement. Le canyon baignait par moitié dans la
lumière crue, par moitié dans une ombre dense.
« On
a de la chance, ajouta Silano. L’air est lourd et sent l’orage.
On n’aura pas besoin d’attendre, mais tout doit être
prêt si l’orage éclate. »
Le
canyon perpendiculaire s’élargissait à mesure
qu’on s’y enfonçait, nous accordant une meilleure
vision des montagnes environnantes. La roche se dressait vers le ciel
comme une pile de pain, de gâteaux et autres masses
multiformes. Dans le moindre interstice, poussait le laurier-rose.
Les grottes innombrables qui perçaient les parois n’étaient
pas d’origine naturelle. Leur forme rectangulaire était
celle de portes creusées par les hommes, pour les hommes, dans
une cité qui n’avait pas été bâtie
sur la planète, mais dedans…
Au-delà
d’un vaste théâtre romain semi-circulaire aux
sièges également sculptés dans la pierre, nous
parvînmes finalement à un autre local circulaire aménagé
au plus profond des montagnes comme une sorte de cour entourée
de grands murs. L’emplacement idéal pour une cité
protégée par l’étroitesse de ses voies
d’accès faciles à défendre en cas
d’attaque. Une cité pourtant aussi étendue que
Boston. Çà et là, surgissaient des colonnes qui
ne supportaient plus rien. Des temples sans toit meublaient la
pierraille éparse.
« Par
la grâce d’Isis, soupirait Astiza, qui a rêvé
ce royaume ? »
Sur
un autre mur, s’étalait un tableau fabuleux d’escaliers,
de piliers, de plate-formes, de portes et de fenêtres ciselées
par centaines dans la masse de la montagne.
« Un
royaume gigantesque ! m’exclamai-je. C’est ici qu’on
trouvera le livre ! Les pyramides, à côté,
sont des niches à chien !
— C’est
vous qui allez le trouver, avec l’aide de vos séraphins. »
Silano
avait déroulé la carte du Templier et l’étudiait
de nouveau. Puis il pointa le doigt dans une direction bien
déterminée.
« Là-haut. »
La
montagne qui dominait le théâtre de pierre comportait
des sortes de créneaux, mais paraissait plate au sommet.
« Où
ça, là-haut ?
— Le
lieu du Grand Sacrifice. »
*
* *
Un
escalier grossier, raide et dangereux, permettait l’ascension.
Mais, à mesure qu’on grimpait vue s’élargissait
autour de nous, découvrant d’autres falaises largement
creusées de main d’homme. Personne nulle part. Le
silence régnait dans la ville abandonnée. Sans aucune
trace de fantômes, pour le moment. À l’approche du
couchant la lumière virait au pourpre.
On
déboucha sur un plateau de grès d’où l’on
disposait d’une vue magnifique sur le panorama. Autour de nous
s’étendaient des versants escarpés sans une trace
de verdure, aussi dépouillés qu’un squelette. Le
soleil réchauffait encore des crêtes noires qui
convergeaient vers nous comme des navires de guerre. Une bise humide
soulevait des nuages de poussière qu’elle transformait,
très vite, en tourbillons. Le plateau lui-même avait été
aplani par des pelles ou des pioches laborieuses. Au centre,
s’inscrivait un rectangle grand comme une salle de bal,
semblable à un étang peu profond et sans eau.
Concentré,
Silano avait sorti une boussole.
« Orientation
nord-sud. Parfait ! »
À
l’ouest, d’où viendraient les tempêtes,
quatre marches menaient à une plate-forme surélevée
qui évoquait une sorte d’autel pourvu d’un creux
en forme de cuvette d’où partait une rigole.
« Pour
recueillir le sang, dit le comte dont le manteau flottait au vent.
— Je
ne vois aucun endroit où cacher un livre »,
déclarai-je.
Silano
désigna, d’un geste large, la cité aux mille
fenêtres.
« Et
moi, je vois l’infini. Il est temps d’utiliser vos
séraphins, Ethan Gage. Ils sont faits d’un métal
plus noble que l’or.
— Quel
métal ?
— Les
Égyptiens l’appelaient Raz-ezhri. « Les
larmes du soleil. » Le doigt de Dieu va les toucher et ils
nous indiqueront quelle direction prendre. Qu’allons-nous faire
du doigt de Thot ? Comment la quintessence de l’Univers
va-t-elle daigner nous faire signe ? »
Il
était fou à lier, mais pas plus que ce vieux Ben avec
son cerf-volant lâché dans la tempête. Les savants
sont tous un peu fous.
« Attendez.
Que va-t-il se passer quand nous aurons trouvé le livre ?
— Nous
l’étudierons.
—
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