Histoire de croisades
certaines occasions, tous les bons citoyens étaient appelés à
participer aux sacrifices adressés à l’empereur : chacun pouvait adorer
chez lui les dieux qu’il voulait, mais en tant que citoyen de l’Empire il
devait prendre publiquement part au culte impérial. Les chrétiens refusaient de
le faire, car leur monothéisme les empêchait de reconnaître un autre dieu, quel
qu’il fût. Il en allait de même, certes, des juifs, mais ils faisaient moins
peur, ils se montraient à visage découvert, et surtout ils ne faisaient pas de
prosélytisme, parce qu’ils constituaient un peuple en soi qui ne se mélangeait
pas avec les autres ; tandis que les chrétiens qui agissaient dans l’ombre
et formaient des communautés de plus en plus vastes, obtenant des conversions
jusque dans la bonne société, furent considérés dès le départ comme un danger. C’étaient
des impies qui méprisaient les cultes civiques et refusaient de faire leur
devoir de citoyens ; un tel comportement risquait de susciter la colère
des dieux.
Dans les persécutions les plus dures, comme en témoignent
les Actes des martyrs, le problème est bien celui-là : on voit des
procurateurs demandant au chrétien qui leur fait face d’accomplir le sacrifice,
le suppliant même, cherchant à le convaincre que ce n’est qu’un geste sans le
moindre lien avec sa foi en son Dieu, mais le chrétien tient bon, parce qu’il
ne peut pas accepter, même quand on lui explique que s’il ne fait pas son
devoir il sera exécuté. Les martyrs s’entêtent et les procurateurs prononcent
leurs sentences. Mais parmi les martyrs chrétiens – et nous revenons ainsi au
sujet qui nous intéresse – il y en a aussi qui refusent le service militaire :
et c’est dans l’Empire romain une attitude subversive, car l’Empire est fondé
sur la guerre. Dioclétien, l’un des plus grands persécuteurs de chrétiens, est
aussi l’empereur qui crée le service militaire obligatoire, édictant des lois
très sévères pour contraindre les fils de soldats à porter les armes. Sa
volonté est de raidir et de figer la société pour renforcer l’emprise du
gouvernement, en contraignant chacun à faire le métier de son père : c’est
le régime idéal selon la perspective du collecteur d’impôts. Or, si dans l’Empire
il commence à y avoir des gens qui, par obligation légale, doivent être soldats,
mais qui, étant chrétiens, refusent de s’engager lorsque leur tour arrive (pas
tous : beaucoup de chrétiens exercent le métier des armes sans trop se
poser de problèmes, il faut le rappeler), ou si des officiers et des soldats
veulent quitter l’armée dès qu’il se convertissent à la nouvelle foi, les
autorités trouvent tout cela très alarmant, et à certaines époques ceux qui
font de tels choix risquent le martyre.
Cette attitude intransigeante disparaît avec la fin des
persécutions et la reconnaissance de la religion chrétienne par l’Empire romain,
sous l’impulsion de Constantin, au début du IV e siècle. C’est un
tournant extraordinaire, car les dernières persécutions – les plus féroces de
toutes – sont un souvenir récent, et voilà que l’empereur considère
officiellement les chrétiens comme des sujets aussi estimables que les autres, libres
de pratiquer leur foi comme bon leur semble ; bien plus, on comprend très
vite qu’ils sont un peu plus égaux que les autres, puisque l’empereur les
apprécie et les soutient. Constantin est proche de leurs positions, suit de
près les débats théologiques, promulgue les premières lois favorisant l’activité
de l’Église, et se fait baptiser sur son lit de mort. Bien que ses fils
continuent tranquillement de célébrer après sa mort le culte du divin
Constantin, c’est un fait qu’à sa suite tous les empereurs seront chrétiens, à
l’exception d’un seul : Julien, que les chrétiens appellent justement l’Apostat,
c’est-à-dire « celui qui a renié sa foi ». Dans cet empire qui peut
être considéré, à partir de Constantin, comme chrétien – même si ce n’est qu’avec
le règne de Théodose, à la fin du IV e siècle, que les cultes païens
seront officiellement abolis –, les chrétiens changent d’opinion à l’égard du
service militaire. On lit dans certains actes de conciles que, puisque l’empereur
est chrétien, on ne peut pas refuser de l’aider lorsqu’il en a besoin ; par
conséquent, s’il demande des soldats il faut les
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