Histoire de croisades
lui fournir.
Dès cette époque, donc, l’idée selon laquelle tout chrétien
laïc peut exercer le métier de soldat au service de l’empereur chrétien devient
acceptable. Cela ne signifie pas que la guerre soit exaltée : simplement, on
admet que, si elle est voulue par un souverain légitime, c’est-à-dire chrétien,
il est permis aux chrétiens d’y participer, bien que cela constitue pour
beaucoup un pénible cas de conscience. Les textes montrent que ce grand dilemme
agite les esprits : les chrétiens s’interrogent et hésitent. Il y a un
texte remarquable de saint Augustin sur cette question. Nous sommes au début du
V e siècle ; cent ans après Constantin, le problème devrait être
résolu : l’Empire est officiellement chrétien et l’armée fourmille de
soldats chrétiens. Pourtant, Augustin reçoit une lettre d’un officier de l’armée
impériale romaine qui lui dit, en gros : je ne suis pas tranquille, je
suis tourmenté parce que je ne sais pas si ce métier que je fais est compatible
ou non avec le fait d’être chrétien. Augustin lui adresse une réponse
contradictoire, ou plus exactement il écrit en développant son discours comme s’il
parlait à voix haute pour clarifier ses idées. « On ne saurait penser que
ceux qui effectuent le service militaire et portent les armes plaisent à Dieu »,
écrit-il. Même si l’Empire est désormais chrétien, la première chose qui lui
vient à l’esprit est encore celle-là, tant est forte la conviction que le
commandement « Tu ne tueras point » interdit aux chrétiens de porter
les armes.
Augustin se rend tout de suite compte qu’il s’agit là d’une
belle théorie, mais que le monde ne s’y conforme pas. Heureusement, les textes
sacrés de sa religion lui offrent aussi des éléments pour poser différemment
les termes du problème. Il poursuit en effet par ces mots : « Mais
David aussi » – le roi David de l’Ancien Testament – « portait les
armes. » Dans le Nouveau Testament, Augustin aurait eu plus de mal à trouver
un texte adéquat. Certes, Jésus déclare à un certain moment : « Je ne
suis pas venu apporter la paix mais le glaive » ; on n’a jamais pu
établir, toutefois, la signification exacte de ces mots. Dans l’Ancien
Testament, tout est beaucoup plus simple : les rois des Hébreux font la
guerre, exterminent leurs ennemis, et c’est Dieu qui leur a dit de le faire.
« David aussi portait les armes, et beaucoup d’autres hommes justes de ce
temps », poursuit Augustin. Après quoi il continue de discuter sur ce
thème et aboutit à une solution qui est, aujourd’hui encore, ce qu’on peut dire
de moins mauvais pour justifier la guerre : dans certains cas il est
nécessaire de faire la guerre pour obtenir la paix.
Augustin, qui est l’un des fondateurs de la pensée
chrétienne, continue par la suite à réfléchir et à s’interroger sur ce problème,
et dans ses œuvres de vieillesse il formule des conclusions plus nettes. On
dirait presque que ces éternelles discussions finissent par le lasser. Il écrit
ainsi : « Mais qu’y a-t-il de blâmable dans la guerre ? Le fait
de tuer des hommes qui un jour devront mourir ? C’est un reproche indigne
d’un homme religieux. » Augustin était tout de même un intellectuel de l’Antiquité,
chez qui l’image du religieux, du théologien, était encore sous-tendue par
celle du philosophe qui ne doit pas se laisser influencer par des
considérations trop humaines. Puis il exprime de façon plus claire la solution
déjà évoquée : « Il est parfois nécessaire que les bons fassent la
guerre contre les violents, selon le commandement de Dieu et du gouvernement
légitime, quand les circonstances y obligent, afin de maintenir l’ordre. »
On peut donc être autorisé à faire la guerre. Cela ne revient pas, bien entendu,
à dire que la guerre est belle ; au contraire, elle est affreuse et
cruelle, mais nous ne pouvons pas ne pas reconnaître que dans ce monde elle est
parfois inévitable.
Nous n’en sommes pas encore à admettre qu’à la guerre il est
loisible de tuer son prochain d’un cœur léger. Car pendant tout le haut Moyen
Âge – et donc jusqu’à l’époque de la première croisade – l’Eglise chrétienne
admet que la guerre est possible si elle est ordonnée par un souverain légitime,
mais le meurtre reste un péché et doit, à ce titre, donner lieu à une
confession et à une pénitence. Il faut se
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