Histoire de croisades
son temps, Bernard de Clairvaux, à la tête de l’ordre
monastique le plus en vue du moment, celui des cisterciens. Les moines « blancs »
de Cîteaux sont des bénédictins qui interprètent de façon très austère la règle
de saint Benoît, en mettant l’accent sur la dureté de vie, la pénitence, le
travail. Le futur saint Bernard est un intellectuel connu dans tout le monde
catholique, ses interventions ont du poids ; quand il se prononce sur un
argument, on l’écoute. C’est un homme extrêmement agressif qui a obtenu de
grands privilèges pour son ordre, et qui a farouchement combattu ses
adversaires : c’est lui qui a essayé de réduire au silence par tous les
moyens Abélard et les premiers philosophes scolastiques parisiens, qui commençaient
à raisonner un peu trop sur la foi religieuse au lieu de se cantonner à la mystique.
Cet homme très influent, très envahissant et très persuasif décide d’intervenir
dans la controverse suscitée par les Templiers et se prononce en leur faveur, considérant
que ce nouvel ordre monastique est adapté aux circonstances. Bernard dit :
« Ce monde a ses nuits et il y en a beaucoup » – autrement dit, les
temps que nous vivons sont ce qu’ils sont mais nous devons les affronter et, dans
la nuit que nous traversons, ces Templiers qui veulent se battre contre les ennemis
de Dieu valent beaucoup mieux que tous ces chevaliers que nous voyons autour de
nous et qui ne se battent que pour saccager, s’enrichir et opprimer les pauvres.
Les Templiers valent beaucoup mieux, et par conséquent cette nouvelle
chevalerie doit être soutenue et encouragée : ils veulent être moines ?
eh bien, qu’ils le deviennent, garantissons-leur qu’ils iront au paradis en
combattant.
Bernard publie un Éloge de la nouvelle chevalerie, qui
a précisément pour but de vanter la légitimité et la beauté de l’idéal des
Templiers. Quelques phrases extraites de ce traité suffiront à conclure notre
discours sur la guerre sainte chrétienne, puisque nous avons maintenant cerné
de façon suffisamment claire le genre d’attitude qui s’est développé avec la
première croisade. « Les chevaliers du Christ livrent avec sûreté les
batailles du Seigneur, sans crainte et sans péché quand ils tuent l’ennemi. »
Cinquante ans plus tôt, Urbain II ne disait pas cela ; maintenant, en
revanche, tuer n’est plus un péché. « La mort donnée ou reçue pour le
Christ » – il n’y a plus aucune différence entre mourir en martyr ou tuer
les persécuteurs – « est exempte de tout péché ; bien plus, elle
mérite une grande gloire. Le Templier accepte avec bonté la mort de l’ennemi à
titre de réparation et fait don de soi encore plus volontiers quand il tombe en
combattant, il tue sereinement et meurt sereinement, et s’il tue il rend un
service au Christ. Quand il est tué, on ne doit pas dire qu’il est mort mais qu’il
a atteint son but : de la mort du païen le chrétien tire gloire, car le
Christ en est glorifié, mais quand c’est le chrétien qui meurt, alors la
générosité divine brille encore plus vivement, car le Roi appelle près de lui
le chevalier pour lui donner la récompense. »
Dans le camp adverse, naturellement, on n’est pas en reste. La
notion de djihad apparaît à plusieurs reprises dans le Coran, non sans
contradictions – le Coran est un livre riche en contradictions, il y a même des
versets qui sont officiellement abrogés par des versets ultérieurs –, mais nous
pouvons tout de même nous en faire une idée assez nette. Djihad, en
réalité, n’est qu’une partie de l’expression djihad fi sabil’illah, qui
signifie « combattre dans le chemin de Dieu ». Il est vrai que la
traduction de djihad par le verbe « combattre » peut être
discutable, car il y a aussi dans la racine du mot une acception plus ample,
« s’efforcer », « se donner entièrement » ; mais l’acception
belliqueuse, qui est celle qui nous intéresse ici, est de toute façon présente
dans divers passages du Coran. Il vaut plutôt la peine de signaler que l’idée
de « combattre dans le chemin de Dieu » apparie les moudjahidin islamiques aux croisés : en ouverture de l’histoire anonyme de la première
croisade dont il a déjà été question, un chevalier croisé raconte l’exhortation
d’Urbain II aux fidèles exactement dans ces termes : celui qui voulait
sauver son âme ne devait pas hésiter à s’avancer
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