Histoire de croisades
par
conséquent il est toujours louable de tuer les mécréants, finit par ne plus
être mise en discussion. En outre, il se produit dans le royaume de Jérusalem
une autre chose qui aurait été impensable avant l’an mille. En 1099, les
croisés ont conquis Jérusalem, et une vaste portion du Proche-Orient actuel est
devenue un royaume chrétien. Les musulmans sont furieux, fermement décidés à
reconquérir le pays au nom de la vraie foi et à rejeter les envahisseurs à la
mer. Il faut par conséquent défendre le royaume, et c’est pourquoi des
combattants volontaires ne cessent d’arriver, ayant fait le vœu de rester un an
en Terre sainte pour soutenir la cause chrétienne. Il y a aussi des gens qui
viennent pour s’installer définitivement : des chevaliers, des gens qui
savent combattre et qui peut-être ont de nombreux péchés sur la conscience, et
qui dorénavant souhaitent se consacrer à une cause qui leur permettra de
continuer à trucider, parce que c’est la seule chose qu’ils savent faire – mais
en sauvant leur âme.
Chez ces chevaliers venus prêter main-forte en Terre sainte
germe l’idée de fonder une confrérie de guerriers ayant pour objectif de
combattre les musulmans, avec des statuts et des règles. Ce sont des gens qui
vivent dans une civilisation profondément empreinte de valeurs religieuses, et
il ne leur vient pas à l’idée de se contenter d’une simple association. Peut-être,
s’ils avaient été de ces marchands génois qui les transportaient d’un bord à l’autre
de la Méditerranée sur leurs navires, eussent-ils raisonné ainsi. Ils ne
fondent donc pas une association, mais un ordre religieux : non pas
toutefois comme le font les moines là-bas, chez eux, qui passent tout leur
temps enfermés dans un monastère à prier ; sans compter qu’il faut avoir
fait des études pour le faire. Nous avons affaire à des chevaliers, des gens
qui ont appris à monter à cheval et à combattre dès l’âge de sept ou huit ans :
ils ne savent rien faire d’autre, mais ils veulent se consacrer à Dieu. C’est
pourquoi ils font vœu de pauvreté, de chasteté, d’obéissance aux supérieurs ;
et la mission de leur communauté, sa raison d’être, sera de combattre les
infidèles et de défendre le royaume de Jérusalem. Ils fondent cette communauté,
cherchent un quartier général dans la ville, trouvent le Temple, l’antique
Temple de Jérusalem, obtiennent la permission de s’y établir, et prennent le
nom de chevaliers du Temple ou Templiers.
Les Templiers naissent ainsi : comme une confrérie de
chevaliers, laïcs, pour la plupart analphabètes, mais qui veulent devenir
moines – des moines, toutefois, d’un genre très particulier. Le fait même qu’une
telle idée ait pu naître révèle le climat de l’époque. Les moines, jusqu’alors,
avaient été des gens qui rejetaient avec la plus extrême horreur la violence, aussi
bien que le sexe et les plaisirs physiques ; des gens persuadés que ceux
qui portent l’armure et manient les armes vont tout droit en enfer ; et si
cela voulait dire que leur père et leurs frères étaient destinés à la damnation
éternelle, les moines en souffraient, mais cela ne changeait rien à leur
conviction. Désormais, les mentalités ont tellement évolué qu’il est devenu
possible de vouloir être moine tout en étant soldat. Il est vrai que tout le
monde n’est pas du même avis : lorsque la nouvelle de la naissance de
cette confrérie commence à se répandre et que les chevaliers demandent à être
reconnus en tant qu’ordre religieux, l’Eglise est perplexe. Il est certes très
louable de combattre les infidèles, mais de là à penser que ceux qui les
combattent peuvent être des moines, il y a une différence considérable. Pendant
plusieurs années, le statut des Templiers reste incertain et donne lieu à une
vive polémique. Le monde chrétien du XII e siècle ne cesse de se complexifier :
il y a davantage d’écoles, on écrit davantage de livres, ces derniers circulent
davantage, et l’on discute beaucoup. La querelle des Investitures qui opposait
la papauté à l’Empire avait donné lieu à de grandes discussions, et maintenant
l’on discute aussi de cela : l’initiative des Templiers est-elle légitime,
ou s’agit-il d’une distorsion, d’une perversion de l’institution monacale ?
La décision reste en suspens jusqu’à l’intervention d’un des
religieux les plus célèbres de
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