Histoire de croisades
certaine perplexité, que les indications relatives à la
guerre sainte sont plutôt confuses et n’affirment pas explicitement qu’elle est
obligatoire pour les croyants : « Ceux qui croient s’écrient : "
Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre une sourate ordonnant la guerre ? "
Mais si l’on fait descendre une sourate confirmée où il est prescrit de combattre… »
– je préfère paraphraser la suite plutôt que de citer la traduction littérale, car
la phrase est particulièrement tortueuse, mais le sens paraît être : beaucoup
de gens sont trop faibles pour combattre, et Dieu n’a pas voulu les mettre en
difficulté en rendant la guerre sainte obligatoire pour tous ; l’initiative
de la décréter ou non incombe aux autorités terrestres, et les fidèles doivent
savoir s’orienter en fonction des circonstances. Le Coran reconnaît donc que la
question de la guerre sainte est une question délicate, que l’on n’a pas voulu
trancher par une obligation formelle.
Mais il y a encore un autre passage, peut-être le plus
surprenant parmi tous ceux où ce thème est abordé. Nous sommes de nouveau dans
la sourate 2, et le passage surprenant est celui-ci : après l’exhortation
initiale, « Combattez dans le chemin de Dieu et sachez qu’il entend et
sait tout », le Coran explique la notion de djihad en faisant
référence à ce qui est déjà connu grâce aux révélations antérieures, autrement
dit en rappelant un passage de la Bible. « N’as-tu pas vu l’assemblée des
fils d’Israël quand, postérieurement à Moïse, ils dirent à un de leurs
prophètes : " Désigne-nous un roi ! Nous combattrons dans le
chemin de Dieu " ? Ce prophète dit : " S’il vous est prescrit
de combattre, pourriez-vous ne pas combattre ? " " Pourquoi, répondirent-ils,
ne combattrions-nous pas dans le chemin de Dieu, alors que nous avons été
expulsés de nos demeures ainsi que nos fils ? " Toutefois, quand il
leur fut prescrit de combattre, ils tournèrent le dos, à l’exception de
quelques-uns. Dieu connaît bien les injustes. » Le texte dit ensuite qu’effectivement
le prophète, qui n’est autre que Samuel, donna aux Hébreux un roi, Saül, qui
les fit guerroyer contre les Philistins, leurs ennemis ; c’est au cours de
cette guerre que David tua Goliath, et tout ce qui s’ensuit. Ici le Coran, pour
exhorter à la guerre sainte, fait référence à un passage biblique tiré du
Premier Livre de Samuel, qui parle exactement de cela, même si certaines
nuances n’ont pas été retenues.
Ce livre raconte que les Hébreux avaient été gouvernés par
le prophète Samuel, lequel toutefois n’avait pas voulu devenir roi. À l’approche
de la mort, ses enfants n’étant pas en mesure de prendre sa succession, les
Hébreux lui demandent de désigner un roi. Samuel refuse et les prévient qu’ils
ne savent pas ce que c’est que d’obéir à un roi : il leur prendra leurs
fils pour les emmener à la guerre, il leur prendra leurs bœufs. Les Hébreux ne
veulent rien savoir et lui rétorquent : « Nous voulons être un peuple
comme tous les autres, nous aurons un roi qui nous gouvernera, qui marchera à
la tête de nos soldats et livrera nos batailles. » Samuel consulte Dieu et
lui explique ce qui se passe : les Hébreux veulent un roi. Dieu lui dit :
« Eh bien, si c’est vraiment ce qu’ils veulent, donne-leur satisfaction. »
Samuel désigne alors Saül. Le problème est que ce passage du livre de Samuel
est ambigu, car il n’est pas dit clairement qu’il est beau d’avoir un roi et de
le suivre dans la guerre ; Samuel a plutôt l’air de penser tout le
contraire : il le déconseille. Et ce premier roi, effectivement, abuse de
son pouvoir ; mais après Saül il y aura le roi David, il y aura les rois d’Israël,
et les Hébreux mèneront toute une série de guerres que la Bible présente comme
bénies et victorieuses.
Mahomet connaît bien la tradition juive et la tradition
chrétienne : quand il a ses révélations et dicte ses idées, il y puise
autant que de besoin. Ici, il reprend la Bible en simplifiant beaucoup : l’ambiguïté
du Livre de Samuel, sur la question de savoir s’il est juste ou non de
combattre à la suite du roi, a disparu. Pour Mahomet, combattre les ennemis de
Dieu est juste, et Dieu l’a déjà dit de nombreuses fois : d’abord aux
prophètes des juifs, maintenant à Mahomet lui-même. Cela nous donne à réfléchir
sur la complexité de
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