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Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Titel: Histoire De France 1715-1723 Volume 17 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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L'ami intelligent sait que toute parole, sur un cœur si malade, pourrait blesser, aigrir. Mais pour fondre cette sécheresse douloureuse, il fait de la musique, lui fait vibrer, chanter, pleurer le violoncelle. Plein de cœur et d'élan, de foi dans le génie, ce doux consolateur lui joue son immortalité. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XX
ROME ET LES SACRILÉGES—MARIAGES ESPAGNOLS
1721
    Un sujet admirable pour l'épopée badine, la muse du Lutrin , de la Secchia rapita , ce serait la conquête du chapeau de Dubois, qui coûta tant d'années d'intrigues et de millions, vrai poème qui eut son merveilleux, ses héros, ses péripéties.
    Il n'y a pas souvenir d'une poursuite si persévérante, si passionnée. Il se mourait pour ce chapeau. Prières, larmes, soupirs, insinuations délicates, menaces, cris de fureur, prodigalité effrénée, présents de tout à tous, rien n'y manque. C'est là que l'on voit ce que peut faire un cœur vraiment épris. Rien de plus éloquent que sa correspondance, de plus comiquement pathétique. À ses moindres agents (pour les encourager), au fripon Lafitau, au lâche et bas Tencin, il écrit des flatteries incroyables. Rohan, le sot cardinal-femme, dont il fait son ambassadeur, il l'appelle«un grand homme,» lui prédit qu'il fera une école en diplomatie, comme Richelieu et Mazarin.
    Toute la politique de la France en Europe est désormais subordonnée à cette grande affaire. Avec un talent véritable, Dubois parvient à faire agir d'ensemble, pour ce but, les éléments les plus contraires, les ennemis les plus acharnés. Nul miracle impossible à une grande passion. Rien de difficile à l'amour. Mais aussi il faut avouer que jamais il n'y eut un homme si large, si généreux, jamais un si grand cœur. «Vous voulez dix mille livres? Vous ne les aurez pas. Vous en aurez cent mille!» Notez que chaque envoi était un tour de force, dans la cruelle détresse où se trouvait l'État. On ne pouvait même payer les troupes. Et cependant on trouva huit millions pour payer le chapeau! Dubois parfois ne sait comment faire, pousse des cris: «Pour envoyer 10,000 pistoles, il faut en trouver ici 30,000. Rien à espérer du Trésor. Je voudrais pouvoir me vendre moi-même, fussé-je acheté pour les galères!»
    L'exact et malin Lemontey a retrouvé, suivi aux Affaires étrangères, le minutieux détail des ventes et des achats, du marchandage infini qui se fit. Dubois, tout terminé, conclut avec mélancolie (comme il en vient toujours après la passion satisfaite) qu'il eût pu s'en tirer à moindre prix. Ces besoigneux auraient accepté tout. Les agents de Dubois jetèrent l'argent. Ils cherchèrent, ils trouvèrent toute sorte de petites influences qui servaient peu ou point, d'obligeantes inutilités. Ils ne dédaignaient rien, ils fouillaient au plus bas. Point de passage ignoble, de porte de derrièrequ'ils ne tentassent pour aller vite au but. Toute la canaille intime de chaque palais, valets de confiance, favoris et petits abbés, fainéants piliers d'antichambre, tout ce monde râpé put se refaire des chausses. Il n'y eut pas jusqu'à une ex-courtisane, vieux meuble du sacré Collège, la grande Marina (ou Marinaccia, comme on l'appelait dans le peuple), qui ne se fît payer, qui ne rentrât en guerre pour Dubois au nouveau conclave. Elle avait influence, au moins de souvenir, près du vieillard ventru sur qui tomba le Saint-Esprit (Conti, Innocent XIII).
    Il est honteux, ridicule, incroyable, et pourtant très-certain que cette belle affaire de coiffer de rouge un coquin domina souverainement toutes les grandes affaires de l'Europe pendant l'année 1721. Il est certain que cette ordure romaine, par les canaux, fentes et fissures que fit partout sous terre une main astucieuse, filtra, souilla, infecta toute la politique du temps.
    Il y a, pour ce comble de honte, deux fortes raisons qui l'expliquent:
    Premièrement, une défaillance générale. Depuis 1715, chacun avait voulu, espéré, tenté quelque chose. Et chacun était retombé. La France, après Law, aplatie. L'Espagne, après son Parmesan, sous sa Parmesane, aplatie. L'Angleterre même, après Blount et sa duperie grossière, mortifiée. Tout le monde avait mal au cœur.
    Secondement, ce vieux fripon de Dubois, bien au contraire, avec l'âge et la maladie, était endiablé de passion, jeune de vice. Si longtemps retardé, il déliraitd'impatience. À sa fortune d'un moment, il mettait à la fois deux choses

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