Histoire De France 1715-1723 Volume 17
des titres divers, tinrent la place à peu près jusqu'en 1706. Comme elle était très-bonne, avec toute sa légèreté, elle eut un vif retour pour son mari quand elle le vit humilié par sa triste campagne de 1708. Elle prit son parti, le soutint, j'allais dire le protégea. Jusqu'à la mort du grand Dauphin son père, sa position fut déplorable. Une cabale active travaillait contre lui. Les malins, les méchants (le mot n'est pas créé alors, mais bien la chose), auraient été heureux de le rendre encore ridicule du côté de sa femme. Chose qui semblait peu difficile. Elle ne se faisait guère respecter, on l'a vu par Maulévrier, et elle était trop douce pour se venger jamais. Elle pleurait, riait, c'était tout.
C'était un temps de grande méchanceté. L'abominable école des fats cruels (Vardes, Lauzun, La Feuillade) durait, et chaque jour inventait quelque tour. Ils avaient d'infernales machines, surtout contre les femmes qui voulaient se garder. Dans les bals, par exemple, sous un masque ordinaire, on en portait un autre, de cire très-habilement peint, à la parfaiteressemblance de la dame qu'on voulait perdre. Ce second masque, montré perfidement au demi-jour par échappée, lui faisait imputer tout ce qu'on hasardait d'infâme. Trahison et surprise, violence même, tout leur semblait de bonne guerre.
Madame de Bourgogne, en mai 1700, après l'horrible hiver, lorsqu'elle devint enceinte de Louis XV, vivait presque toujours chez madame de Maintenon et n'avait là d'amusement «qu'une poupée,» comme elle le disait elle-même, un enfant de treize ans. Les deux vieilles personnes, si ennuyées, au lieu de petits chats ou de jeunes chiens, avaient volontiers quelque enfant joueur. Madame de Bourgogne avait été l'enfant; puis la Jeannette Pingré dont j'ai parlé. Alors, c'était le tour du petit Vignerod (Richelieu), neveu de la grande dévote Anne Poussart (madame de Richelieu), qui avait jadis protégé madame de Maintenon. Elle s'en souvenait, et l'appelait: «Mon fils.» Ayant un père remarié, une belle-mère assez dure qui l'habillait fort mal, il semblait orphelin. Cela alla au cœur de la bonne duchesse, qui lui fit fête et en fit son joujou. Il faisait le timide, moyen de se faire enhardir. Né faible, tout nerveux, mais d'autant plus précoce, il osait, et l'on en riait.
Ce qui est singulier dans un enfant et ce qui montre un naturel pervers, c'est qu'à peine ayant quatorze ans, dès qu'il fut présenté et alla à Marly, il exploita la petite faiblesse que l'on avait pour lui, ne cherchant que le bruit, la gloriole, tout ce qui pouvait nuire à la charmante femme. Il s'arrangea pour être pris en tête-à-tête. Il attrapa une miniature, la cachasi bien qu'on la vit. Son père, fort sottement, aida à cette indignité. Il alla furieux demander pardon au roi, le prier d'enfermer ce polisson à la Bastille, jura qu'il allait le marier. Admirable moyen d'ébruiter et d'exagérer le peu qu'il y avait peut-être. Le drôle, dès ce jour à la mode, imita les méchants, La Feuillade surtout. Avec quelques petits duels, il se fit un héros. Ce qui le porta haut fut surtout son indifférence, sa malice égoïste à se jouer des folles qui couraient après lui. Pitoyable caprice. Plus il fut froid, cruel, plus il fut à la mode. Il faisait des bassesses. Mais rien ne l'avilit. Il vendait ses faveurs à trois cents francs par rendez-vous.
Nul n'influa plus et plus mal sur le règne de Louis XV, sur le roi indirectement, dont la sécheresse semble un reflet de ce désolant caractère. Sans exagérer sa faveur auprès de la princesse, il semblerait qu'enceinte elle ait pris du petit favori comme un regard, un mauvais sort, qui agit sur son triste enfant.
Louis XV n'avait que onze ans quand sa nature eut occasion de se montrer. Le 31 juillet 1721, il tomba très-malade. Paris, la France, témoignèrent combien l'espérance commune s'était attachée à cette tête frêle, combien on craignait de la perdre, en proportion du dégoût, de la haine que l'on avait alors pour la Régence. Les ennemis du Régent qui entouraient l'enfant ne manquèrent pas de croire, de dire les choses les plus atroces. La duchesse de La Ferté criait: «Il est empoisonné.» Ces bruits, répandus dans le peuple, pouvaient faire un effet terrible, du moins un grand désordre, dont les brigands, alors fort nombreux, auraientprofité. Le gouvernement se sentait si faible, que le Régent enleva l'argent des caisses
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