Histoire De France 1715-1723 Volume 17
Il prit fort mal la chose. Quand on lui en parla, qu'on lui dit qu'il allait avoir une petite femme, il se mit à pleurer, ne sachant bien ce que c'était, mais craignant d'être dérangé, craignant qu'on ne le fît parler, ou que cette camarade ne le troublât dans son ménage d'enfant.
Il n'était pas né gai, n'aimait personne. Tout son bonheur, quand il avait été forcé de figurer, c'était de s'enfermer le soir pour faire sa soupe. Au parc de la Muette, dont le Régent lui fit cadeau, son joujou favori était une vache naine et de faire le laitier. Il s'amusait aussi avec une pioche et des petits terriers. Ces chiens, par un instinct analogue à celui du porc, excellaient à fouiller et déterrer les truffes.
Avec ces goûts obscurs, il était dans les mains de deux personnes au contraire fastueuses, qui l'auraient volontiers mis sur les planches, élevé en acteur. Son gouverneur, le vieux fat Villeroi, tête frivole et tout à l'évent, sa gouvernante, l'antique amante de Villeroi, madame de Ventadour, et sa sœur, la marraine du roi, madame de La Ferté, une folle, travaillaient tous à l'envers de sa nature. Il resta sec et dur, muet. Nul moyen d'en tirer un mot.
Croira-t-on bien qu'à l'âge de six ans, tout juste à son avénement, ils eurent l'idée barbare de le régaler d'un massacre? Dans une vaste salle remplie d'un millier de moineaux, on lâcha des oiseaux de la fauconnerie, et l'enfant jouissait des cris, de l'effroi des victimes, de la confusion des plumes au vent et de la pluie de sang. Une autre indignité: comme pour lui enseigner déjà le mépris de l'espèce humaine, la vieille bête, La Ferté, imagina de lui donner un ballet par des enfants vêtus en chiens.
S'il eût profité de cette éducation, il serait devenu un monstre; mais rien n'agit, ni en bien ni en mal. Si stérile était sa nature, que longtemps on pût croire qu'il n'y aurait pas de prise même pour le vice. On verra tout le mal que se donna la cour pour l'y amener. Le fond en lui était l'insensibilité, l'ennui, le rien . La représentation le mettait de mauvaise humeur. Il haïssait le bal, fuyait la comédie, bâillait à l'opéra. La seule personne dont il s'accommodât (tout au moins d'habitude) était celle qui ne parlait guère, ne faisait et ne voulait rien (pas même l'amuser), son précepteur Fleury. Vieux prêtre complaisant, homme du monde,fort ignorant, qui n'essaya pas de l'instruire, mais qui, comme une nourrice, s'arrangeait des puérilités taciturnes où il passait sa vie. Il lui souffla la religion toute faite, comme une petite chose à apprendre par cœur. Pure pratique. Nulle idée morale. Il lui épargnait même la peine de la confession. Il la lui dictait, et écrite, il la lui corrigeait. L'enfant la récitait au confesseur, qui, bien appris, s'en tenait à quelque mot vague et le renvoyait sans oser lui faire la moindre question.
Rare fruit sec . Parfaite arabie. À dix ans, il eut l'air d'annoncer une passion; il apprit certains jeux de cartes et joua vivement. On crut qu'il serait un joueur. Mais point. Il retomba dans son immuable inertie.
La merveille, c'est que ce muet est fils de la vive et parlante, de la sémillante duchesse de Bourgogne.
Cet insensible est fils de l'élève, si passionné, de Fénelon.
La royauté dévore; et il semble, en ce temps surtout, que les maisons royales à chaque instant tarissent (Espagne, Lorraine, Farnèse, Médicis, Autriche, Russie, etc.), ou, si elles se continuent, c'est par des figures discordantes, d'opposition tranchée, comique. Henri IV fut bien étonné de se voir naître, en Louis XIII, je ne sais quoi de sec et de noir, un vieux prince italien. Louis XIII, à son tour, dans l'enfant du miracle que lui donna la sainte Vierge, ne put retrouver rien de lui. Louis XV, à son tour, avec son père, sa mère, fait un contraste violent. Le duc de Bourgogne, né si ému (de l'amoureuse Bavaroise), letendre, le dévot, le subtil et l'ardent bossu, qui avait tant de cœur, n'a rien à voir en cet enfant.
Et il ne tient guère non plus de la gentille Savoyarde, si amusante avec ses petites farces, tous ses patois grotesquement mêlés. Elle fut la comédie vivante. L'enfant, c'est le contraire; il est comme la salle après la représentation, morne, vide, tout est parti et l'on a soufflé les quinquets.
La duchesse de Bourgogne eut, comme on sait, toujours de petites galanteries. Maulévrier, Nogent, l'abbé de Polignac, plus ou moins avancés, à
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