Histoire De France 1715-1723 Volume 17
échange d'Amboise qui était de sa dot. Il n'y avait pas de cour. Et rien n'était plus simple que le Palais-Royal. Ce palais et Saint-Cloud étaient de petites résidences où l'on ne pouvait s'étaler. Qu'était-ce que la vie du Régent, et celle du petit Roi encore, en comparaison du gouffre de la Vienne impériale? Michiels nous la donne, d'après les documents du temps. Grossière et monstrueuse noce de Gamache qui durait toute l'année, épouvantable armée de courtisans, de gardes, de gentilshommes, dames, laquais, cuisiniers, marmitons, et que sais-je? valets de valets et serviteurs de serviteurs, par vingt, trente et quarante mille! On recule. D'ici on sent ces cuisines de Gargantua, ces énormes chaudières, ces broches échelonnées à l'infini, ces masses de viandes fumantes!
À Paris, rien de comparable alors. La Régence n'a pas eu le temps d'inventer les raffinements coûteux quetrouveront plus tard les Fermiers généraux. Les recherches luxueuses du siècle vieillissant sont ignorées encore. Le plaisir sans façon suffit.
Le défaut du Régent était bien moins de dépenser que de ne point savoir refuser. Il était né la main ouverte, et tout lui échappait. Il donnait d'amitié, il donnait de faiblesse, il donnait de nécessité. Beaucoup de dons étaient forcés, il faut le dire. Comment eût-il pu refuser à madame de Ventadour et autres qui avaient en main l'enfant roi, la petite machine royale, si inerte, mais si dangereuse dans telle occasion imprévue? Comment eût-il pu refuser à la dévorante maison des Condés, qui venaient un à un prier, montrer les dents? C'était un bataillon d'alliés nécessaires contre le duc du Maine, contre le parti espagnol, le Parlement, la Vendée qu'on préparait en Poitou, en Bretagne.
Deux choses allaient creusant l'abîme, la faiblesse de la Régence et la faiblesse du Régent, la misère de situation, celle de vice et de laisser aller. Cent vingt millions de nouveau déficit! Vingt-quatre qui manqueront en 1719! Et, par-dessus, la dépense d'une guerre probable.
L'Angleterre et la France s'y attendaient également. Elles seules gardaient la paix du monde. Personne ne voulait de la paix, ni l'Espagne qu'on avait frappée, ni l'Autriche qu'on favorisait, à qui on donnait la Sicile. Cette brutale Autriche, après le désastre espagnol qu'on avait fait à son profit, ne voulait plus renoncer à l'Espagne. Dubois était désespéré, criait qu'il se tuerait, emporterait la paix dans son tombeau.Le 20 novembre, les puissances pacificatrices, l'Angleterre et la France, firent un traité secret pour forcer l'Autrichien à la paix si avantageuse qu'il avait acceptée lui-même.
Combien moins l'Espagne, outragée, humiliée, se résignait-elle? La sottise de la reine dans l'affaire d'Italie n'ayant que trop paru, on revenait au plan d'Alberoni, qui voulait, avant tout, tenter un coup sur Londres, agir en Bretagne, en Poitou. Cela n'était point fou, comme on l'a dit. Alberoni avait encore des vaisseaux pour un coup de main. L'homme d'exécution, dont le nom valait des armées, Charles XII, existait encore. Il ne fut tué qu'en décembre.
La noblesse de Bretagne, remuée par des femmes (absurdes, énergiques et jolies, comme sont volontiers les basses-brettes), fermentait et s'armait. L'hiver seul ajournait le mouvement. Mesdames de Kankoën et de Bonnamour grisaient ces fous. Elles organisaient un commerce de lettres avec l'Espagne. Les bouteilles de vin, qui apportaient l'enthousiasme sous forme d'alicante, de xérès, de madère, reportaient à Madrid les chaudes protestations bretonnes. Ils se croyaient loyaux; leur maître naturel, c'était le frère du duc de Bourgogne, Philippe V, qui seul pouvait garder le cher enfant royal, si mal entre les mains de l'usurpateur, de l'empoisonneur. Tout pour le Roi! tout pour le peuple! Dans cette belle croisade qui aurait mis en France la tyrannie bigote du roi de l'inquisition, M. de Bonnamour appelait ses gens les soldats de la liberté . Les paysans ouvriraient-ils l'oreille? les curés de Bretagne prêcheraient-ils contre un Régent impie pour leroi catholique? S'il en était ainsi, on avait à attendre bien plus que la révolte écrasée par Louis XIV. Ce sauvage pays, si fermé par sa langue, pouvait avoir déjà souterrainement le vaste ébranlement des chouans.
Mais cette guerre, c'était de l'argent, beaucoup d'argent, et où le prendre?
Tant qu'on cherchait encore la réponse à cette question, Dubois,
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