Histoire De France 1724-1759 Volume 18
émotion, mais guérirent de la vie, moururent. Un simple monument, table de marbre noir, à un pied de terre, fut dressé avec autorisation de Noailles par le frère, M. Pâris, conseiller au Parlement. On se glissait sous cette table, pour prendre de plus près la vertu de la terre, ou on en avalait un peu. Les malades (femmes ou demoiselles pour la plupart), de plus en plus émues, exaltées, et trop faibles pour y garder leur tête, y eurent des crises de nerfs, des accès hystériques, se crurent guéries au moment même. Mais tout cela n'arriva au délire que plus tard, lorsqu'on leur prit leurs prêtres, lorsque ces pauvres créatures furent effarées et folles de la cruelle persécution.
On ne peut lire sans intérêt le livre étrange de Carré de Montgeron: Vérité des miracles du bienheureux Pâris. Il est fort instructif. L'historien et le médecin y trouvent le précieux tableau, exact et véridique,des misères et des maux d'alors. Pour les guérisons, les miracles, ce sont les mieux prouvés qui furent jamais. Sincérité parfaite, nombreux témoins, oculaires et honnêtes, sérieux examen des savants, rien n'y manque. Maître dans tant de choses, le XVIII e siècle est le maître en miracles. Il observe, analyse, de manière à nous faire conclure que ces faits très-certains sont, non au-dessus de la nature, mais de nature jusque-là peu connue (qu'on dirait aujourd'hui magnétique où somnambulique).
Ces guérisons, la plupart sont fort simples. La créature qui vit dans l'ombre des petites rues, demi-percluse, enflée, fiévreuse, ses amies l'entraînent au voyage lointain de Saint-Médard, près le Jardin du Roi. Suprême effort. Y arrivera-t-elle? Et cela se fait. Que dis-je? Elle en fait la neuvaine. L'effort même, l'air et le soleil, lui ravivent la circulation. Ajoutez-y la vive émotion de voir ce lieu, la sainte tombe, les gens déjà guéris, et la joie de ce peuple, cette compassion mutuelle, et ces larmes de fraternité [11] !... Elle est guérie, ne sent plus rien. Pour longtemps? Non, peut-être. Mais ce touchant spectacle sera le bonheur de ses jours. Le soleil qu'elle vit sur cette foule, et sur ce marbre noir, il la suivra partout. Son soleil, elle l'amaintenant, son église. Qu'on lui ferme l'église, que ses prêtres enlevés lui manquent en ce besoin, elle serait son prêtre elle-même. Contre l'autorité, elle aurait la voix intérieure. La voix, dirons-nous de la Grâce? ou la voix de la Liberté?
Peu après ces miracles commence un vrai miracle (23 février 1728), la mystérieuse publication des Nouvelles ecclésiastiques , journal insaisissable qu'on poursuit en vain soixante ans. Miracle de courage, de discrétion, de probité. Sous l'œil de la Police, ce journal s'écrit et s'imprime, se distribue dans tout Paris, et jusqu'à la Révolution (1790). Pas un traître en soixante ans. Rien de plus honorable, rien ne prouve mieux que c'était le parti des honnêtes gens. On dit qu'un vieux prêtre intrépide, Jacques Fontaine de Roche, osa le commencer. Où l'imprimait-il? On ne sait. Dans un bateau? On le suppose. Un système très-ingénieux de distribution fut trouvé, et il a été le modèle de maintes sociétés secrètes. Celle-ci était si hardie, si sûre d'elle, que dans la voiture même du lieutenant de Police elle faisait jeter le journal poursuivi.
La connivence générale de Paris ( Barbier , 54) aidait beaucoup sans doute. C'est l'instinct naturel; sans bien savoir la question, on se sentait pour les persécutés. Cela gagna. L'esprit d'opposition s'étendit par le Jansénisme, et par la Franc-Maçonnerie, qui d'Angleterre se répandit bientôt [12] . Ces ruisseaux devinrent fleuves,et, le torrent philosophique s'y joignant, ce fut une mer. Rien moins que la Révolution. Les Nouvelles ecclésiastiques cessent en 90. En 91 ouvre le Club des Jacobins. Ceux-ci dans leur bibliothèque n'avaient nul ornement que la pancarte où l'ingénieux mécanisme de la distribution du journal janséniste était représenté.
Le jansénisme seul était un grand parti, une armée qui comptait des nuances très-différentes. Bien loin des exaltés de Saint-Médard étaient nos honnêtes universitaires, les recteurs: Vittement le désintéressé; Coffin qui créa l'instruction gratuite; Rollin dont le nom seul est un complet éloge. Ajoutons-y les maîtres et professeurs de l'austère maison de Sainte-Barbe [13] , une solide fabrique d'hommes, qui, contre la maison équivoque
Weitere Kostenlose Bücher