Histoire De France 1724-1759 Volume 18
déistes anglais? Au fond moins qu'on ne dit. Il relève bien plus de nos libres penseurs du XVII e siècle, de la tradition des Gassendistes, Bernier, Molière, Hesnault, Boulainvilliers, etc.
Il resta tout Français, et ne pouvait vivre qu'en France. Il devait rentrer à tout prix. On ne sait qui il employa. Il fallait réussir auprès du petit Maurepas, alors ministre de Paris, un athée valet des Jésuites, qui souvent fit semblant de protéger Voltaire, l'aimant peu, l'enviant, le sentant supérieur dans son propre genre Maurepas (la satire, l'épigramme). Il le laissa rentrer en France, non à Paris. Du moins la première fois que nous apercevons Voltaire, c'est chez un perruquier de Saint-Germain-en-Laye, où très-probablement il reste un an, caché ou à peu près. Pendant tout ce temps, rien de lui. Pas une œuvre. À peine une lettre. Ce grand silence indique à quelles dures conditions il était rentré. La Henriade même, revenant d'Angleterre, ne fut que tolérée. Et quarante ans durantelle ne fut vendue qu'en gardant son titre de Londres.
Dans quelle situation est alors la littérature? dans un funeste entr'acte qui ne dure guère moins de douze ans [16] . Elle est alors plus que stérile; elle semble détournée de son but. Elle évite et semble oublier la grande, la profonde question où est la destinée du siècle, la question religieuse, posée dans les Lettres persanes avec tant de force et d'éclat. Lui-même, le héros, le prophète Montesquieu a peur de lui-même. Il redevient M. le président de Montesquieu, il rentre dans la société, au monde des honnêtes gens. Il rétracte ses Lettres pour être de l'Académie, les offre à Fleury corrigées (1728).
Celui-ci n'en voulait pas plus. Une littérature amortie et faussée vaut mieux que le silence pour un pareil gouvernement. Fleury trouvait fort bon que le café Procope, sous l'aveugle La Motte, traînât le débatéternel entre les Anciens et les Modernes. Il trouvait même bon que la petite réunion de l'Entre-sol, tenue par l'abbé Alary, jasât un peu des affaires de l'Europe, des rêves de l'abbé de Saint-Pierre. Utopies sociales qui s'écartent toujours du grand nœud social, de l'intime question où se relient les autres. Fleury s'en amusait, recevait volontiers le rapport qu'Alary lui en faisait chaque semaine (d'Argenson). Tolérance admirable. Mais toute pensée vraiment libre avait été frappée, découragée. Le grand critique Fréret, ayant touché l'histoire de France, avait tâté de la Bastille. Il se le tint pour dît, s'écarta, au plus loin, dans la chronologie chinoise, etc. En 1728, l'essor du jansénisme aigrit cruellement la Police. Contre la librairie, l'imprimerie, elle s'arma d'une atroce ordonnance. Pour une page non autorisée, confiscation , carcan , galères !
Voltaire, à Saint-Germain, se trouva solitaire plus que dans la campagne anglaise, ne pouvant publier, muet. Cette année 1728 de grand silence (unique dans sa vie) lui profita beaucoup. Ce qui jusque-là le tenait inférieur, léger, faible, c'était la vie du monde, le besoin des petits succès. Là il rentra en lui, et il fit pour lui-même (sans espoir d'imprimer) une chose tout à fait libre et forte, sa critique des Pensées de Pascal . Une note de lui nous dit qu'elle est de cette année. Il n'a fait rien de plus vif, rien qui aille plus droit au but. Il ne s'amuse pas, comme il fit trop ailleurs, à jouer tout autour de la grande question, à critiquer les accessoires. Sans jaser, ricaner,—sérieusement, d'une pince d'acier et d'une invincibletenaille,—il serre à la racine l'arbre qui nous tient dans son ombre.
Quand on voit avec quelle faiblesse la plupart des critiques se sont approchés de Pascal [17] , quel timide respect, on sait gré à Voltaire de son ferme bon sens, si simple et si lucide. Sa familiarité hardie (noble ici, point cynique) est d'un homme , d'un esprit vraiment libre, qui ne s'étonne point devant l'insolente éloquence, ne respecte que la raison. Il est ferme et point dur.
Son petit livre (grand de sens et d'effet) se résume en trois mots: simples réponses à Pascal:
« L'homme est une énigme. » Non. On le comprend très-bien dans l'ensemble dont il fait partie. Mais quand il serait une énigme, ce n'est pas en tout cas par l'inexplicable qu'on l'expliquera.—« Il est déplacé, dégradé. » Non. Il est à sa place dans la nature.—« Ilnaît injuste. » Non. Et il n'est pas justifié par l'arbitraire
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