Histoire De France 1724-1759 Volume 18
de Louis le Grand et ses ragoûts douteux, donnait le pain des forts. De là sortaient des caractères, de sérieux esprits, pour le barreau et la jurisprudence, jansénistes, mais fort largement, comme Marais, notre bon chroniqueur. De là aussi ces docteurs de Sorbonne qui, et contre la persécution et contre le courant dusiècle, fermement s'efforçaient de garder le gallicanisme. Cinquante eurent le courage de protester pour Soanen, l'honneur d'être enlevés, de peupler les plus dures prisons, l'étouffement brûlant du château d'If, la froide horreur de Saint-Michel en Grève, glacé de ses vents éternels.
Ces duretés exaltèrent, lancèrent le fanatisme. En fermant son théâtre, le petit cimetière (1732), lui ôtant le grand jour, on le jeta dans l'ombre infiniment plus dangereuse.
Ces créatures malades, qui en public avaient des attaques hystériques et des convulsions, dans les secrets abris qu'on les obligea de chercher, suivirent la pente naturelle d'une religion de la douleur où l'innocent expie pour le coupable. Plus Versailles se souilla, plus ces martyrs aveugles cherchèrent des pénitences.
Aux incestes persévérants et solennels de Louis XV répondirent les crucifiements des pauvres filles jansénistes. Par de cruels supplices, acceptés, implorés, elles appelaient la Grâce, détournaient le courroux de Dieu.
Les chrétiens ignorants, qui ne connaissent pas l'histoire des temps chrétiens, et pas davantage leur dogme, ont dit que ces fureurs et la soif des souffrances, étaient perversion, déviation du vrai christianisme. À tort. Qu'ils lisent donc les légendes. Tous les saints leur diront que la douleur, que l'amour de la mort en est l'esprit et la vraie voie.
Si des fourbes, des intrigants, plus tard, se mêlent aux jansénistes, on n'en doit pas moins dire qu'enmasse ils furent de vrais chrétiens. Et malheureusement ils en avaient l'intolérance. Sous le Régent (1721), d'Aguesseau, faible janséniste, gronde les intendants qui ne répriment pas les protestants.
Un très-honnête évêque, un janséniste austère, Colbert, qui, quarante ans durant résista aux ultramontains, n'en est pas moins hostile aux réformés, ennemi acharné et violent du «tolérantisme» ( Corbière , 348).
Comment ces jansénistes ne sont-ils pas touchés du surprenant spectacle que donnent alors nos protestants?
Le formalisme de Genève ayant tué l'esprit de prophétie et l'élan des Cévennes, dans un parfait esprit de pacifique obéissance, Antoine Court restaura nos églises.
La loi féroce qui pendait les pasteurs n'arrêta rien. Un séminaire fut formé à Lausanne pour fournir des victimes aux dragons et aux juges. Étrange école de la mort, qui, défendant l'exaltation, dans un modeste prosaïsme, sans se lasser, envoyait des martyrs et alimentait l'échafaud.
En lisant ces légendes trop vraies [14] , on est saisi d'étonnement et de douleur. Il y a là cent romans admirables dans la vie du pasteur errant (Court, Roussel, Desabas, Rabaud, etc.). Le jeune hommes'en va de Lausanne, laissant sa jeune épouse (oh! les filles héroïques qui épousent ainsi le veuvage), pour vivre désormais sous le ciel, de roc en roc, toujours fuyant, caché. Ni feu, ni toit, la vie de la bête sauvage!
Le plus fort, c'est qu'ils gardent un grand esprit de paix, empêchant les révoltes et sauvant qui les assassine!
Avec cela, quelque touché qu'on soit, on est tenté pourtant de faire avec respect une demande.
Des longues servitudes des Juifs, leurs livres ont surgi, des chants parfois sublimes. Comment n'est-il sorti rien de tel de nos martyrs du Languedoc?
Dure question! Et en la faisant, je me la reprochais. Elle me restait presque à la gorge. L'histoire inexorable est ma maîtresse, pourtant, et elle veut ici que je parle.
Ce qui a ou séché ou faussé les esprits, là et ailleurs, c'est l'imitation de la Bible, la lourde servitude d'un livre appris par cœur, et si loin de nos mœurs. Deuxièmement, l'effort contradictoire de l'école anti-prophétique, étouffant aux Cévennes l'esprit de la contrée, dut stériliser nos martyrs. Un problème insoluble leur fut posé par les écoles officielles, d'obéir n'obéissant pas, de reculer en avançant, d'employer la moitié de leur force à contenir l'autre. Bizarre effort où la conception, l'engendrement ne se fera jamais.
Ils ont droit de répondre qu'en cela ils furent vrais chrétiens. Au chrétien résolu qui va jusqu'au bout de son dogme
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