Histoire De France 1724-1759 Volume 18
(méthodiste, piétiste, janséniste, n'importe),quel est le fond du fonds? c'est l'incessant suicide, la mort du moi, de sa nature, et, non-seulement de ses vices, mais de ses puissances même, l'extinction du propre genius .
Suicide aidé parfaitement par le genre de persécution employé sous Fleury. Les exécutions exaltaient; chaque ministre mis à mort faisait faire une complainte. Mais les honteuses vexations de la famille, les secrètes misères de la femme obsédée (1724-1730), abattaient, énervaient l'esprit. Le système d'amendes incessantes qui fut établi en 1728, fut dans les contrées pauvres, chez le paysan si serré, une tentation continuelle de faiblesse. «La paroisse où une assemblée avait eu lieu, dut payer cinq cent livres.» Somme trop faible, dit Fleury, qui l'aggrava. La famille, de plus, qui n'envoie pas son enfant au curé, doit payer tant d'amende. Amende qui n'est plus, comme autrefois, levée par an, mais levée chaque mois . Rien de plus propre à user l'âme, à tenir inquiet et chagrin le travailleur nécessiteux. Toujours, toujours payer, ne penser qu'à cela! Misérable existence, dure, sèche et contractée, calculée à merveille pour l'amaigrissement de l'esprit.
Si nos protestants demeurèrent une élite en beaucoup de sens, ils le durent à leurs échappées hardies dans le désert, à l'austère poésie des baptêmes et des mariages accomplis sous le ciel, et contre lesquels les évêques en vinrent, comme on verra, à appeler l'épée, le gouvernement militaire (1738).
Cruel combat. Mais la jeune étincelle qui devait recréer le monde ne pouvait sortir de cela. Des protestants,des jansénistes, malgré tant de vertus, d'efforts, de ces derniers chrétiens, ne pouvait nous venir notre émancipation à l'égard du christianisme. Il y fallait l'esprit décidément contraire, que le temps souverain amenait invinciblement. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE V
VOLTAIRE ET MADEMOISELLE LECOUVREUR
1728-1730
Voltaire dit qu'il resta près de deux ans en Angleterre (de mai en mai, ou à peu près, 1726-1728). Déjà célèbre ici, il se trouva là-bas absolument perdu. Il n'y eut que déceptions. Il y apportait 20,000 livres en un billet qui ne fut pas payé. La protection de Bolingbroke, sur laquelle il comptait, ne pouvait que lui nuire, dans la lutte impuissante que l'illustre étourdi soutenait contre la presse par l'adroit Walpole, heureux et triomphant ministre qui répondit à tout par des succès. Voltaire fut trop heureux d'accepter un abri que lui offrit généreusement un marchand, M. Falkener, dans la fort triste solitude de la campagne de Londres. Il espérait sortir de cette position ennuyeuse par l'éclat de son Henriade , qu'il édita avec luxe et dépense. Mais pourquoi les Anglais auraient-ils accueilli un poème où le héros finit par se fairecatholique? On sait d'ailleurs combien ce pays, en réalité, est fermé aux littératures étrangères. La Henriade inaperçue ne valut à l'auteur que quelques guinées de la reine [15] .
Grand contraste avec l'accueil que trouva Montesquieu en 1729. Amené par lord Chesterfield dans son propre yacht, caressé des Walpole, comblé par la savante reine, conduit par les lords aux deux Chambres, il vit tout par leurs yeux, jugea, admira tout sur leur parole, revint demi-Anglais, n'ayant rien aperçu du fond réel des mœurs, et formulant de confiance le très-faux idéal de ce gouvernement qu'il donna dans l' Esprit des lois .
Grand bonheur pour Voltaire de n'être ainsi gâté, mais négligé plutôt. Il garda son bon sens. Il vit peu, mais vit bien. Il vit bien d'abord les hauts côtés de l'Angleterre, qui sont bien moins Anglais qu' humains ; il vit Newton, Shakespeare. Il était depuis quelques mois en Angleterre lorsque Newton mourut et qu'on fit, avec de prodigieux honneurs, son triomphant convoià Westminster. Rien de plus grand, rien qui glorifiât davantage la sagesse anglaise. Il la sentait partout dans la dignité libre des mœurs, des habitudes, la tolérance limitée (mais plus grande que partout ailleurs), la raisonnable estime du travail, de l'activité. L'hôte de Voltaire, Falkener, simple marchand de Londres, fut ambassadeur en Turquie.
Il sentait tout cela, et n'en était pas aveuglé. Quelques pages datées de 1727 montrent combien ses impressions étaient nettes et pour le bien et le mal. Il entrevit fort bien les contradictions discordantes qui frappent ce grand peuple. Que doit-il aux
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