Histoire De France 1724-1759 Volume 18
injuste, par la faveur, la Grâce.
« Est-il heureux? » Question plus difficile. Là sans doute Pascal avait chance d'embarrasser Voltaire, de faire trembler sa plume. Cette année était sombre. Sa pauvreté et son mutisme l'attristaient fort. De la chambrette du perruquier de Saint-Germain, il dit à Thieriot: «Ma misère m'aigrit et me rend farouche.» Une lettre très-mâle, de son anglais Falkener [18] , contribua à le raffermir, à lui faire croire que l'on peut être heureux, et que même la plupart le sont. S'élevant au-dessus de sa situation, il dit à Pascal qui entre en désespoir de la misère de l'homme: « Vous vous trompez, l'homme est heureux. »
Mais si le bonheur pour chaque être est de suivre sa destination, quelle est vraiment celle de l'homme? Que répondra Voltaire? On croirait volontiers, d'après ses vanteries d'épicuréisme, qu'il va répondre: le plaisir . Non. Notre but, «c'est l'action .»
«L'homme est né pour l'action, comme le feu tend en haut, la pierre en bas. N'être point occupé, ou ne pas exister, c'est même chose.» (T. XXXVII, p. 57, n o 23.)
Mot grave et d'autant plus que la vie entière de l'auteur en est la traduction. Jamais pareille activité. Et ce travail immense, il sut le soutenir par une sobriété plus qu'ascétique donnant en tout très-peu aux plaisirs qu'il vanta le plus.
«Agissons.» Mais comment? lorsque l'activité de tous côtés rencontre un mur?
Cet esprit clairvoyant distinguait aisément que dans une telle société le despotisme avait lui-même un despote et un maître, la richesse , que le pouvoir faisait sa cour à un pouvoir plus haut, l'argent.—En revanche, dans la servitude universelle, le pauvre est deux fois serf. Sur sa tête s'appuie la société de tout son poids, l'écrase et l'avilit, et fait qu'il s'avilit lui-même. La littérature indigente offrait un aspect déplorable. Si Colletet au siècle précédent «cherchait son pain de cuisine en cuisine» (Boileau), il n'avait pas la mise et la tenue coûteuses que dut plus tard avoir l'homme de lettres, vivant dans les salons. Au XVIII e , Allainval, un auteur estimé dont on joue et rejoue les pièces, reçu partout, est cependant si pauvre, que, n'ayant aucun gîte, il couche dans les chaises à porteurs. Cet excès de misère et le parasitisme qui en était la suite naturelle, faisait que l'on traitait les auteurs fort légèrement. La Tencin, sans façon, à ses habitués pour étrennes donnait des culottes.
Voltaire avait perdu ses pensions. Des 4,250 livres de rente qu'il eut à la mort de son père, les réductions successives (et celle récemment de Fleury) durent emporter beaucoup, outre les banqueroutes qu'il essuya. Sa Henriade l'acheva. Et quand pourrait-il vendre unlivre? il l'ignorait. Les libraires effrayés auraient-ils acheté? En attendant, il préparait, écrivait ses Lettres anglaises . Il expliquait Newton. C'est par là justement (chose imprévue, bizarre) que sa situation changea.
Il venait le soir à Paris, consultait les Newtoniens. Ils n'étaient guère que trois qui osassent lutter contre Descartes et sa physique (une religion nationale), contre la lourde autorité de l'Académie des sciences. Il y avait un enfant de génie, le tout petit Clairaut. Un officier de Saint-Malo, tranchant, dur, excentrique, Maupertuis, reçu récemment à la Société royale de Londres (1728), et qui bientôt ici (1731) fut le chef du café Procope. Un homme encore fort agréable, esprit universel, brillant, un peu léger, La Condamine. Un jour que celui-ci soupait avec Voltaire, il riait de l'ignorance du sot contrôleur général Desforts qui, pour éteindre les billets de l'Hôtel-de-Ville, venait d'ouvrir une loterie où, par un calcul simple, on pouvait gagner à coup sûr. Voltaire avait de ces billets; il fut frappé du calcul, et y gagna 500,000 francs. Le Contrôleur fut furieux, plaida, mais il était en baisse, bientôt remplacé. Il perdit, et Voltaire dès ce jour fut riche, émancipé, libre du moins, s'il ne pouvait écrire en France, de vivre en Hollande et partout. Heureux coup de fortune qu'il dut réellement à sa foi, à l'amour des sciences. Newton, on peut le dire, fit la liberté de Voltaire.
On ne voit pas qu'il ait joui beaucoup de cette fortune. Sa vie si occupée et absolument cérébrale le rendait fort peu sensuel. Il n'était point avide. Quand le Régent lui donne pension, il partage avec Thieriot.Et même en Angleterre, où il est si
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