Histoire De France 1758-1789, Volume 19
triste avorton déjà était mort et enterré.
Nul spectacle plus curieux que de voir en chaque province les formes diverses de la résistance. Elles donnent la mesure exacte de ce que chacune d'elles gardait de vitalité sous l'écrasement monarchique.
Le Midi était assommé. Les deux Terreurs épouvantables des massacres albigeois et des massacres protestants, tombant les uns sur les autres, avaient admirablement monarchisé le pays. Les États de Languedoc, tant vantés pour leur cadastre, répartition, etc., n'étaient pas moins épiscopaux, comme au lendemain de la conquête de Montfort. Le Tiers-État y votait, mais il ne parlait jamais . Toutes ces municipalités étaient muettes.
La Bourgogne, tous les trois ans, se réunissait vingtjours en États pour baiser les bottes du gouverneur héréditaire, un Condé. Cinquante bourgeois, en présence de trois cents nobles et cent prêtres, ne soufflaient que pour voter des présents au gouvernement, aux premiers de l'assemblée.
Trois familles suffisaient pour jouer la comédie des petits États d'Artois. Ceux de Provence étaient nuls; le pays avait maigri jusqu'à l'os et au squelette, à l'instar de ses montagnes, dévasté, dépouillé, chauve; ses pauvres communautés, trop heureuses de vendre leurs voix, étaient toutes dans la main d'un seigneur, le consul d'Aix. L'imperceptible Navarre et le tout petit Béarn avaient seuls gardé quelque chose des libertés antiques. En Béarn, le peuple avait au moins un veto négatif. En Navarre, seul il votait dans les questions d'argent.
Rouen, Besançon, Grenoble, regrettaient amèrement, redemandaient leurs États, depuis longtemps supprimés.
La Bretagne avait les siens, on l'a vu, orageux, troubles, dominés par un grand peuple de petits nobles turbulents. Ces dures têtes de silex n'étaient pas moins bouillonnantes. Toujours quelques fous, du Régent à Louis XVI, rêvaient la séparation, la Bretagne libre de la France, seule en son trône de granit, comme un Arthur ressuscité, avec la monarchie celtique. Un grand peuple dispersé, curés, bourgeois, paysans, matelots, ne partageait pas ces songes, et se montrait plus docile, entraîné pourtant par moment aux emportements de la noblesse, aux audaces du Parlement. C'était le plus fier du royaume. Ilrappelait incessamment sa fameuse duchesse Anne et les droits de son contrat. Lui-même parfois représentait la trop quinteuse duchesse dans sa mauvaise humeur hautaine. En 1764, le Roi ayant écrit qu'il cassait sa décision, le Parlement, sans voir la lettre, la lui renvoya par la poste.
La grande bataille de la France fut réellement soutenue par deux provinces, la Bretagne et le Dauphiné.
La Bretagne eut réellement quelque avance sur le Dauphiné. Rennes eut son combat le 10 mai, et Grenoble le 7 juin.
Ces deux provinces avaient fort préparé l'esprit public. La Bretagne, dès Louis XV, dès l'affaire de La Chalotais qui fit vibrer toute la France. Le Dauphiné déjoua le mensonge des Assemblées provinciales. Le Parlement de Grenoble dit qu'on devait publier leur règlement, préciser leur mission: jusque-là, intrépidement, il leur défendit de s'assembler (15 décembre 1787).
La première scène décisive est celle de Rennes. Le Parlement ferme ses portes. C'est aux commissaires du Roi, au gouverneur Thiard, à l'intendant Molleville, de les forcer. À leur sortie du Parlement, les pierres, les bûches et les bouteilles volent et menacent leurs têtes.
L'intendant tombe, est frappé. Que ferait la troupe? Thiard était peu en force et défendait de tirer. Ses officiers, qui voyaient dans le peuple tant de gentilshommes, n'avaient nulle envie de tirer sur les leurs. Un d'eux, Blondel de Nonainville, dit: «Moi aussi, je suis citoyen!» On lui saute au cou; on le porte entriomphe. Et nombre d'officiers l'imitent. (Duchatellier, I, 43, 73.)
La cour ne comprit pas encore. Elle expliqua l'événement par la mollesse de Thiard, qui n'avait pas voulu tirer sur la noblesse de Bretagne. La révolution de Rennes commandait quelques égards, étant surtout celle des nobles et des fils de la bonne bourgeoisie, des étudiants en droit de cette université. Ces nobles, nous les avons vus, dans l'affaire de Damiens, marquer entre tous les Français, par la vive émotion, le violent amour du Roi. Ils n'étaient pas suspects au fond. D'autant plus violents aussi dans leur attaque au ministère, ils dressèrent son accusation. Avec l'obstination bretonne, ils
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