Histoire De France 1758-1789, Volume 19
claie, écorchant sa face à la terre, montrant ce qu'on cache au ciel, prostitué aux regards, aux rires, aux indignités!
Profonde horreur! et tout cela n'avait en France aucun écho. La question protestante durait depuis trop longtemps. Elle ennuyait, fatiguait. Au premier mot: «Protestants,» on tournait court, on disait: «Parlons plutôt d'autre chose.» Ayant tant, si longtemps souffert, ils avaient usé la pitié. On croyait bien en général qu'on leur faisait des choses indignes. On aimait mieux n'en rien savoir. Ainsi peu à peu un mur s'était fait entre eux et la France, un mur d'airain. Ce grand peuple vivait comme au fond d'une tour. Les martyres, les exécutions, se faisaient en plein soleil de Toulouse, sous son Capitole. Et on ne les voyait pas! Elles se passaient au Peyrou de Montpellier, au sommet de ses terrasses étagées! à la vue de cent mille homme. Et on ne le savait pas!
Triste côté de l'âme humaine. Les grosses majorités, qui sont bien sûres de la force, deviennent étonnammentorgueilleuses et colériques. Toute apparition de ministre semblait une audace coupable des protestants, un outrage au grand monde catholique. Le 14 septembre, à Caussade (1761), le jeune ministre Rochette est arrêté, se déclare noblement, ne daigne mentir. Trois jeunes gentilshommes verriers, sans armes que leur petite épée, essayent de le dégager. Sur cela, fureur incroyable des populations catholiques. Les paroisses sonnent, resonnent le tocsin. Tous prennent la fourche. Les bouchers courent avec leurs dogues. Chasse atroce! sur quel monstre donc? une hyène du Gévaudan? L'hyène est ce peuple fou. Rochette et les trois sont traînés à Toulouse. Triomphe et joie générale. On en jase, on espère bien jouir bientôt du supplice; mais on ne l'eut qu'en février.
Presque au même moment que Rochette, autre capture (13 octobre 1762): une famille de Toulouse, «qui a étranglé son fils.»
Sachons ce que sont ces gens-là:
Un bon et brave marchand d'indiennes était à Toulouse, établi depuis quarante ans. Calas, ce marchand, avait épousé une demoiselle accomplie, mais noble malheureusement (des Montesquieu, de Languedoc). Elle donna à ses enfants une éducation selon sa naissance. Ils furent nobles, dans une boutique.
Les protestants ne pouvaient avoir de servante protestante. Ils en eurent une excellente, mais excellemment catholique. Cette bonne fille, qui vit naître leur second fils, Louis, l'éleva, lui fut attachée, ne manqua pas de vouloir sauver sa jeune âme, le mena probablement aux belles églises de Toulouse, enivrantesd'encens et de fleurs. Le petit allait volontiers chez la voisine d'en face, femme d'un perruquier catholique, et fut presque camarade de leur fils, un petit abbé. Louis un matin se sauve, et la perruquière le cache. Conquête heureuse. L'archevêque est ravi, s'y intéresse. L'enfant converti, dès sept ans, d'après les bonnes ordonnances, peut faire la guerre à ses parents. En effet, il montre les dents. Il exige de l'argent. Le pauvre bonhomme Calas est mandé chez l'archevêque. Il finance. On lui fait payer 1º les dettes de Louis, six cents livres; puis, quatre cents pour apprentissage chez un catholique, et cent francs annuellement.—Est-ce tout? Non, de l'évêché, on signifie à Calas qu'il ait à établir son fils. Il n'ose pas refuser, ne faisant qu'une objection, qu'il est bien jeune, incapable. Et cependant il se saigne. Il dit qu'il ne peut donner que trois cents francs en argent, et dix mille en marchandises.—Est-ce tout? Non. On fait écrire par ce misérable Louis un placet à l'Intendant pour demander que ses deux sœurs et son petit frère Donat soient enlevés à leur père, à leur mère, et séquestrés.
Ce placet, tombé de sa poche, fut relevé par l'aîné de la famille, Marc-Antoine, qui lui reprocha âprement cet acte infâme.
Marc-Antoine était protestant zélé, d'un caractère sombre. Il avait autorité dans la maison. C'était lui, et non pas le père Calas, qui faisait la prière commune. Il était lettré, distingué. Il étudiait en droit, et s'était fait recevoir bachelier en 59. Il voulait passer la licence. Mais pour cela il fallait un certificat de catholicité. Il avait horreur de le demander. Donc, ilétait arrêté court. Il voyait ses camarades lancés briller au barreau. Cela le jeta en grande tristesse. Pour se distraire, il allait aux cafés, devint joueur. Il aurait voulu alors, se rabattant sur le
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