Histoire De France 1758-1789, Volume 19
roi d'Espagne, Charles III, qui n'était venu enEspagne que malgré eux, malgré leurs projets de le faire déclarer fils d'Alberoni et bâtard adultérin. Ils étaient très-forts en Espagne. Pas un seul fonctionnaire qui ne fût sorti des Jésuites. Charles n'osait pas encore les frapper. Mais en arrivant, il avait saisi contre eux l'épée de saint Dominique, se faisant le chef de l'Inquisition, ayant pour vicaire général un dominicain, attendant un prétexte, une occasion.
Dès 1754 et 1756, l'Espagne et le Portugal avaient pu voir en Amérique ce qu'étaient au fond les Jésuites. Leurs Indiens du Paraguay, dans un échange de terres que firent alors les deux Couronnes, résistèrent à main armée. On vit à nu, à découvert, cet empire singulier, étrange création de la ruse. Ce qu'ils n'avaient pu au Nord avec la race énergique des Peaux-Rouges, ils l'avaient fait au Midi, se créant là, dans des pays isolés, un certain paradis à eux. Pour leur pouvoir, pour leur plaisir, il avaient là des troupeaux de doux imbéciles, menés paternellement avec la verge et le fouet. Humboldt, si bon observateur, et nullement hostile aux Jésuites, dit que, partout où ils ont fait ces Missions , l'idiotisme a été si bien fondé, si bien mêlé à la race, et le cerveau pour toujours si parfaitement rétréci, que nulle civilisation, nul progrès n'a plus de chance.
Cela fit mieux examiner ce qu'ils étaient en Europe. Leur force était en Espagne, où tout employé sortait de leurs mains; ils étaient devenus l'administration elle-même. En Portugal, ils gouvernaient à l'aide des grandes familles, ils y étaient détestés comme un ordre tout espagnol, anti-portugais, qui aurait espagnoliséle pays. Sous le roi Joseph, ils surent lui donner un premier ministre, Pombal, mais qui avait vu l'Europe, l'Angleterre, et ne put rester l'humble serviteur des Jésuites. Pombal, hardi et violent, les étonna fort en janvier 58. Appuyé des dominicains, il osa lancer contre eux un manifeste terrible. Il bannit du palais les confesseurs jésuites, mit près du Roi leurs ennemis.
Tout cela, je le répète, en janvier 1758, lorsqu'ils faisaient leur grande intrigue pour exclure Charles III de l'Espagne, et rester maîtres en y mettant l'Infante. Ils résolurent de tenir ferme en Portugal à tout prix. Les grands, surtout les Tavora, les Aveyro, leur appartenaient. Le roi Joseph, tous les soirs, allait faire l'amour à la jeune marquise de Tavora; on tira sur lui et on le blessa. Il fut prouvé qu'avant le coup ils avaient consulté les Jésuites, qui, d'après leurs vieilles maximes de Mariana et autres, autorisèrent le régicide. Pombal fit décapiter, rompre, brûler tous ces grands. Il fit par l'Inquisition condamner, comme hérétique, fit étrangler et brûler le vieux père Malagrida. Rome s'irrita, et brûla un manifeste de Pombal. Celui-ci, sans hésitation, saisit tous les biens des Jésuites; il les embarqua eux-mêmes et les jeta en Italie (1759).
En France, on trouva cela dur. Voltaire avait de l'amitié pour ses maîtres, les Jésuites, et les regardait aussi comme le meilleur dissolvant du Christianisme. L'Anglais, d'un machiavélisme plus exquis et plus haineux, en toute société catholique, voulait le maintien des Jésuites, comme élément de ruine et germede corruption. Il regretta l'acte brusque de Pombal. Et à Paris, plus d'une grande dame anglaise travaillait pour les Jésuites avec les gens du Dauphin.
C'était cette pourriture même, reluisant en si beau jour, qui faisait qu'ici le public les prenait peu au sérieux. La question était grave au Parlement, grave à Versailles, mais ridicule à Paris. Un fait trop peu remarqué, curieux, qu'indique Barbier, c'est que huit jours après que les Jésuites furent condamnés, personne n'y pensait plus.
Choiseul ne mit dans l'affaire aucune animosité, et il n'en était besoin. Les Jésuites, in extremis , étaient au point où le malade est sale, souille tout sous lui. L'ordure de la banqueroute que fit leur père Lavalette fit dégoût. Et le secours odieux, gauche, qu'on crut leur donner, les acheva par l'horreur. On a vu combien la famille royale était maladroite; Madame, emportée, aveugle, propre à lancer aux amis le pavé de l'ours. On crut faire peur au public. On fit, par le Grand Conseil, condamner un notaire suspect d'avoir fabriqué un arrêt du Conseil contre les Jésuites. Suspect ? et qui empêchait une vérification de fait, si aisée
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