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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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commerce, que son père l'associât. Calas, autant qu'il pouvait, le faisait son alter ego . Mais fort raisonnablement, il n'osait s'associer légalement un jeune homme déjà dérangé qui eût ruiné la famille. Nouveau chagrin pour Marc-Antoine. Il voyait tout impossible. Il eut envie de s'en aller à Genève, de se faire ministre, et de revenir se faire pendre. Mais fallait-il aller si loin pour cela? Il lisait fort ceux qui ont parlé du suicide, et le Caton de Plutarque, et tel chapitre de Montaigne, et le monologue d'Hamlet, le Sidney surtout de Gresset.
    Le 13 octobre 61, la sombre boutique reçut une visite, celle d'un gentil jeune homme de vingt ans, nommé Lavaysse, fils d'un avocat protestant, mais élevé par les Jésuites. Lui aussi il avait fait fi du commerce où on le mit. Il avait l'ambition de la marine. À Bordeaux, il étudia l'anglais, un peu de mathématique. Il voulait être pilotin. Déjà il portait l'épée. Mais, comme tout lui réussissait, il se trouva qu'un de ses oncles l'appelait à Saint-Domingue, sur une riche plantation. C'était une fortune faite. Ce petit favori du sort, avec son épée, sa gaieté, la grâce des gens heureux, invité par ces bonnes gens, attrista encore Marc-Antoine. Sombre et muet, celui-ci soupa, but plusieurs verres de vin. Mais avant que l'on finît, il descendit tout doucement, ôta son habit, le plia proprement avec son gilet de nankin, puis se pendit.
    Qu'on juge du désespoir des parents. Mais la vivepeur du père, de la mère encore plus, c'était qu'on ne traitât leur fils en suicidé, que, subissant la honteuse exhibition, et traîné tout nu sur la claie, il ne perdît aussi ses frères, ne les déshonorât tous. La férocité populaire gardait ces affreux souvenirs, les lazzi, les rires atroces; elle eût pu dire dans trente ans, dans cinquante ans, au dernier des fils: «J'ai vu ton frère sur le nez, traîné dans les rues de Toulouse.»
    Voilà ces pauvres Calas qui disent qu'il ne s'est pas tué. «Alors, on l'a donc tué?... mais vous l'auriez entendu...» Que dire à cela? Les voisins frémissent, et des furies crient: «Ce sont eux qui l'ont tué!»
    La garde arrive, avec elle, certain capitoul, David, homme emporté, empressé, de grand zèle et de grand bruit. Sans procès-verbal, il enlève le cadavre, la famille, et traîne tout dans les rues pleines de monde (un dimanche soir). Chacun aux fenêtres. «Qu'est-ce?»—«Rien que des protestants qui ont étranglé leur fils.»
    Dans la procédure d'alors, celle du cruel Moyen âge, confirmée par Louis XIV en 1670, tout devait partir de l'Église. Le magistrat requérait que l'autorité ecclésiastique fulminât un Monitoire , sommation à tous les fidèles de déclarer ce qu'ils savaient. Cela constituait les curés, les prêtres, juges d'instruction. On venait leur dire à l'oreille ce qu'on savait, imaginait. On se concertait avec eux, avant d'aller déposer. Mais le Monitoire ne devait parler qu'en général, ne pas nommer les personnes suspectées. Celui des Calas les nommait, énonçait comme déjà certains les faits dont on allait juger. Il disait que Marc-Antoine allaitse faire catholique. Il disait qu'en telle maison un conseil avait été tenu pour faire mourir Marc-Antoine. Il disait jusqu'aux plaintes, aux cris, qu'avait poussés la victime. Bref, avec un pareil acte qui tranchait tout, le procès était tout fait, tout jugé.
    Par cinq fois, par cinq dimanches, ce cri de mort, de vengeance, partit de toutes les chaires. Le 7 novembre, à l'appui, une grande fête sépulcrale, le service de Marc-Antoine, se fit dans l'église des Pénitents blancs. Ces confrères (blancs, bleus, noirs, gris), c'était à peu près tout le peuple industriel et marchand, cordonniers, tailleurs, boulangers, etc., enrôlés sous les couleurs, les bannières ecclésiastiques. Les confréries s'enviaient ce corps saint de Marc-Antoine. Les curés se le disputaient. Les pénitents blancs, issus tout droit de saint Dominique, l'emportèrent. L'église entière était tendue de drap blanc. Sur un catafalque énorme planait un squelette (la foule crut voir les os de Marc-Antoine). L'osseuse figure, dans la main tenait brandillante une palme qui glorifiait son martyre, demandait vengeance.
    Qui pouvait avoir le cœur assez dur pour la refuser? Dieu s'en mêlait. Trois miracles, quatre, qui se firent sur la tombe, touchèrent, exaltèrent les femmes, les jetèrent dans le délire.
    L'année redoutable

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