Histoire de France
Lunéville ; comme il avait dédommagé l’Autriche aux dépens des princes allemands, il dédommagea l’Angleterre aux dépens de nos alliés : Ceylan fut enlevé à la Hollande, la Trinité à l’Espagne. De cette transaction, où nous renoncions d’ailleurs à l’Égypte, perdue pour nous depuis que les communications par mer étaient coupées, la suprématie maritime et coloniale de l’Angleterre sortait accrue. Le traité d’Amiens (mars 1802) « lui fut, dans une large mesure, une revanche du traité de Versailles », celui de 1783.
Une paix ainsi conclue ne pouvait être qu’une trêve. En effet, malgré la chute de Pitt, les idées dominantes de la politique anglaise ne changeaient pas. Dans un pays d’opinion, le gouvernement avait cédé aux difficultés intérieures, au mécontentement du commerce, qui attribuait à la prolongation de la guerre la fermeture des marchés continentaux. Quand, au bout de quelques mois, les hommes d’affaires anglais eurent compris que ces marchés leur étaient fermés, parce que la France tenait, avec la Belgique et la Hollande, les bouches de l’Escaut, la reprise de la guerre ne tarda plus.
La France, après le traité d’Amiens, s’était pourtant persuadée que la paix était définitive. Le Premier Consul lui-même partageait cette illusion. Il travaillait à créer un état de choses durable, il organisait le pays et ses conquêtes dans l’esprit qu’il avait montré dès son arrivée au pouvoir. Comme à d’autres époques que nous avons vues dans notre histoire, il y avait à réparer ce qu’une longue anarchie avait détruit : à elle seule, la réfection des routes en disait long sur l’étendue des dégâts accumulés et de la tâche à remplir. Dans cette œuvre, de restauration, semblable à celle que la monarchie avait eu, au cours des siècles, à reprendre tant de fois, Bonaparte s’éloignait de la Révolution tous les jours davantage. Dans la fonction qu’avaient tenue avant lui Charles V ou Henri IV, des sentiments et des idées monarchiques se formaient chez le Premier Consul. Les royalistes crurent un moment qu’il songeait à rappeler les Bourbons. Louis XVIII, de l’exil, lui écrivit une lettre à laquelle il répondit d’une manière qui ne laissait aucun espoir. S’il songeait à la monarchie, c’était pour lui-même. Le complot de quelques Jacobins pour le poignarder avait accru son horreur des révolutionnaires. Peu de temps après, en décembre 1800, il avait échappé à l’explosion d’une machine infernale rue Saint-Nicaise. Les terroristes, les septembriseurs furent accusés de ce crime et plus de cent anciens membres de la Convention et de la Commune inscrits sur une liste de proscription. Fouché, ministre de la police, ne tarda pas à découvrir que les auteurs du complot étaient cette fois des royalistes, agents de l’irréconciliable Georges Cadoudal. Ils furent exécutés, mais la politique du Premier Consul ne changea pas. Il préparait alors le rétablissement officiel de la religion catholique, malgré les difficultés qu’il rencontrait, malgré les murmures des militaires eux-mêmes, car les passions religieuses avaient été les plus vives de la Révolution. Le 15 juillet 1801, il avait réussi à signer un Concordat avec Pie VII et le cardinal Consalvi. Au moment de la paix d’Amiens, tout concourait ainsi à rendre la tranquillité et la prospérité à la France. La popularité du Premier Consul était telle qu’on le regardait comme indispensable et les menaces dirigées contre sa vie n’avaient pour effet que de fortifier son prestige.
Cependant, avec l’étonnante faculté que possède la France de se relever de ses ruines dès que l’ordre est rétabli, des richesses se reformaient, le commerce et l’industrie étaient florissants, les finances elles-mêmes revenaient à la santé : les malheureux rentiers qui avaient attendu de 1789 un raffermissement de leur créance sur l’État et qui n’avaient vu que la banqueroute, commençaient enfin à être payés. C’était, il est vrai, avec une grosse réduction. Le Directoire avait promis de reconnaître le tiers de leur revenu, le « tiers consolidé » qui déguisait la faillite. Il avait fallu attendre le Consulat pour que cette promesse elle-même fût tenue. Ainsi finissait, par un sacrifice pour les capitalistes, l’âpre conflit qui, sous l’ancien régime, les avait mis aux prises avec l’État et qui avait été
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