Histoire de France
avait suivie jusque-là. Les conjurés ayant tous déclaré qu’un prince devait les rejoindre, le Premier Consul résolut de faire un exemple. Quoiqu’il eût en toute occasion marqué son horreur pour l’exécution de Louis XVI, c’est à l’équivalent d’un régicide qu’il recourut à son tour pour donner à son trône un sanglant baptême républicain. Le prince annoncé par les conspirateurs royalistes ne paraissant pas, Napoléon ne voulut pas abandonner le plan qu’il avait formé. Il fit enlever de force le jeune prince de Condé, duc d’Enghien, qui se trouvait à Ettenheim, en territoire badois, et qui fut passé par les armes après un simulacre de jugement.
Ce crime était-il nécessaire pour que Napoléon devînt empereur ? Même pas. La monarchie héréditaire lui venait naturellement, pour les raisons qui lui avaient déjà donné le Consulat à vie. Mais la machine infernale avait aidé au succès du premier plébiscite. Le dernier pas se fit grâce à la conspiration de Georges et de Pichegru. Observant le réveil général de l’idée monarchique en France, les royalistes avaient pensé que la personne du Premier Consul était le seul obstacle à une restauration. Pour que la place fût libre aux Bourbons, il devait suffire de l’abattre. Le Premier Consul ayant échappé aux conjurés, le péril qu’il avait couru servit sa cause. On pensa que le Consulat à vie était fragile et qu’une forme de gouvernement exposée à périr avec son chef n’était pas assez sûre. Du jour au lendemain, Bonaparte pouvait disparaître, tandis que la dynastie de Napoléon lui survivrait et le continuerait. Alors, cet homme, que ses ennemis, qui étaient les ennemis de la Révolution, voulaient détruire, « il fallait, dit Thiers, le faire roi ou empereur pour que l’hérédité ajoutée à son pouvoir lui assurât des successeurs naturels et immédiats, et que, le crime commis en sa personne devenant inutile, on fût moins tenté de le commettre. Placer une couronne sur cette tête précieuse et sacrée, sur laquelle reposaient les destinées de la France, c’était y placer un bouclier qui la protégerait contre les coups des ennemis. En la protégeant, on protégerait tous les intérêts nés de la Révolution ; on sauverait d’une réaction sanguinaire les hommes compromis par leurs égarements (les Jacobins et les régicides) ; on conserverait aux acquéreurs de domaines nationaux leurs biens, aux militaires leurs grades, à tous les membres du gouvernement leurs positions ; à la France le régime d’égalité, de justice et de grandeur qu’elle avait acquis ». Conserver : voilà le grand mot. La Révolution était devenue conservatrice d’elle-même et de ses résultats. Pour se sauver, pour durer, elle avait eu recours, le 18 brumaire, au pouvoir personnel. Elle avait recours maintenant à la monarchie héréditaire. Pour franchir ce dernier pas, Napoléon avait calculé que l’exécution du duc d’Enghien ne serait pas inutile, parce qu’elle lèverait les derniers scrupules républicains et donnerait une garantie à ceux qui s’étaient le plus compromis dans les excès révolutionnaires et qui se réjouiraient « de voir le général Bonaparte séparé des Bourbons par un fossé rempli de sang royal ».
Un ancien révolutionnaire, connu par l’ardeur de ses opinions, le tribun Curée, fut chargé de proposer l’établissement de l’Empire. Il n’y eut qu’un opposant déclaré : ce fut Carnot, qui se rallia d’ailleurs par la suite. Des manifestations de collèges électoraux dans les départements, des adresses de l’armée préparèrent l’opération. Après un vote unanime du Sénat, un second plébiscite, par des millions de voix, ratifia le troisième changement qui était apporté à la Constitution de Sieyès, d’où venait de sortir un souverain beaucoup plus absolu que les Bourbons : on jurait d’ailleurs encore une fois, et dans les formes les plus solennelles, de ne jamais les rappeler sur le trône. Ainsi s’achevait le mouvement qui avait si rapidement ramené la France vers la monarchie et que Thiers résume en termes frappants : « De cinq directeurs nommés pour cinq ans, on avait passé à l’idée de trois consuls nommés pour dix ans, puis, de l’idée de trois consuls, à celle d’un seul de fait, ayant le pouvoir à vie. Dans une telle voie on ne pouvait s’arrêter qu’après avoir franchi le dernier pas, c’est-à-dire
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