Histoire de France
une des causes de la Révolution.
Dans cette grandeur et cette prospérité, le Premier Consul avait pourtant une inquiétude, et cette inquiétude était légitime. Après tout, son pouvoir manquait d’une base solide. Il le possédait pour dix ans, il s’en était écoulé trois, et la Constitution de Sieyès, même revue et corrigée, n’était pas des plus rassurantes pour la stabilité du régime. Une opposition très vive s’était déjà manifestée au Tribunat et n’avait ménagé aucun des projets auxquels Bonaparte tenait le plus, ni le Concordat, ni l’Ordre de la Légion d’honneur, ni le Code civil. Cette opposition deviendrait plus dangereuse avec le temps et à mesure qu’on se rapprocherait du terme des dix années. On apercevait clairement que, comme sous le Directoire, la France oscillerait encore entre les royalistes et les Jacobins, qu’on retournerait aux agitations et à l’anarchie. Pour asseoir le régime nouveau, des procédés tels que l’élimination des opposants, forme atténuée des épurations de la période révolutionnaire, ne suffisaient pas. Par une pente naturelle, on voulut lui donner l’avantage de la durée afin de soustraire le pouvoir aux contestations. On en venait ainsi au rétablissement de la monarchie en faveur du Premier Consul. Lui-même dissimulait ses désirs et son ambition, ne demandait rien, laissait agir ses amis. Après le triomphe de la paix d’Amiens, ils proposèrent de lui attribuer une récompense nationale, mais le Sénat ne vota qu’une autre période de dix années. C’était malgré tout une déconvenue. Alors Cambacérès imagina de soumettre au peuple la question de savoir si, oui ou non, Napoléon Bonaparte (son prénom commençait à paraître officiellement) serait nommé Premier Consul à vie, et trois millions et demi de voix, contre moins de dix mille, répondirent par l’affirmative. La Constitution fut remaniée dans ce sens, et le Premier Consul reçut en outre le droit de choisir lui-même son successeur (août 1802). Quoiqu’il n’eût pas d’enfants, rien n’interdisait que ce successeur fût son fils s’il en avait un.
Ainsi la monarchie héréditaire était sur le point d’être rétablie, après tant de serments de ne jamais revenir à la royauté. Ce mouvement s’était produit de la façon la plus naturelle du monde et il ne restait en France qu’un nombre tellement insignifiant de républicains de doctrine qu’aucune résistance n’était à craindre. Il fallait seulement rencontrer les circonstances qui permettraient à Napoléon Bonaparte de faire un pas de plus et de prendre ce titre d’empereur qui était maintenant dans son esprit et qui plaisait aux Français, parce qu’il évoquait le souvenir de l’ancienne Rome et parce qu’il répondait à l’étendue de leurs conquêtes. Il serait cependant aussi faux qu’injuste de prêter au Premier Consul l’idée, qu’il avait besoin de la guerre pour acquérir la souveraineté suprême. Il ne le serait pas moins de lui attribuer une autre ambition, celle de dominer l’Europe. Comme nous allons le voir, l’Empire s’est fondé d’une autre manière. Dès le Consulat à vie, tous les souverains regardaient Bonaparte comme un des leurs. On le voyait « monter peu à peu vers le trône », tout le monde acceptait cette ascension, et les monarchies européennes, montrant encore une fois combien peu elle s’étaient souciées de la cause des Bourbons, s’inclinaient devant cette puissance redoutable. Elles ne cherchaient plus qu’à se concilier ses bonnes grâces et, au mieux de leurs intérêts, s’adaptaient à une situation qu’elles ne pouvaient changer.
En 1802 et 1803, la politique du Premier Consul ne tend qu’à consolider et à organiser pacifiquement l’Europe dans la forme nouvelle que lui ont donnée dix ans de guerre. Lorsqu’il se fait proclamer président de la République cisalpine ou italienne, dont le centre est Milan, lorsqu’il annexe le Piémont à la France, personne ne proteste, parce que, selon le vieil usage, tout le monde a reçu des compensations. L’Autriche elle-même est consentante, parce qu’elle a Venise. Ce principe des compensations, conformément au traité de Lunéville, fut appliqué à l’Allemagne, et le remaniement de 1803, en supprimant un grand nombre de principautés ecclésiastiques et de villes libres, préparait la concentration et l’unité de l’Allemagne. L’Autriche catholique
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