Histoire de France
défense républicaine, en juin 1899, il y introduisit Alexandre Millerand, député de l’extrême gauche, défenseur des théories collectivistes, et ce choix causa du scandale et de l’inquiétude dans la bourgeoisie française. On devait pourtant revoir avec quelques-uns des chefs socialistes ce qu’on avait déjà vu avec quelques-uns des chefs radicaux : leur assagissement, leur assimilation progressive par le milieu conservateur. Ce n’étaient donc pas les concessions à leurs personnes qui étaient les plus graves, mais les concessions à leurs idées. Il ne s’agissait plus seulement de laïcité, programme commun des républicains de doctrine. Avec l’affaire Dreyfus, l’antimilitarisme était apparu et il en avait été un des éléments les plus actifs. Peu à peu, les charges militaires avaient été rendues presque égales pour tous, le jeune intellectuel passait à la caserne comme le jeune paysan, et le dégoût de cette servitude avait favorisé les campagnes d’idées et de presse contre l’armée et ses chefs. Victorieux par le ministère Waldeck-Rousseau, par la Haute Cour qui jugea les nationalistes et les royalistes, tandis que le procès de Dreyfus était révisé, le parti républicain, qui avait été en 1871 celui du patriotisme ardent et même exalté, inclinait tout au moins à négliger la défense nationale, sous l’influence de son extrême gauche internationaliste.
Ces événements, qui rendaient la prépondérance aux partis avancés, s’étaient pourtant accompagnés d’une autre crise, à l’extérieur celle-là, dont les suites allaient nous ramener face à face avec l’Allemagne. Les modérés, qui avaient gouverné presque sans interruption depuis le rapprochement franco-russe, s’étaient livrés à leur tour à la politique coloniale, et notre alliance avec la Russie avait produit une conséquence imprévue : elle nous avait rapprochés de l’Allemagne. Entre Saint-Pétersbourg et Berlin, les relations étaient bonnes. Guillaume II, qui régnait depuis 1888, avait de l’influence sur le jeune empereur Nicolas II qui avait succédé à son père Alexandre III en 1894. L’année d’après son avènement, la France, d’accord avec la Russie, avait accepté d’envoyer des navires de guerre à l’inauguration du canal de Kiel, qui permettait à la flotte allemande de passer librement de la Baltique dans la mer du Nord et qu’avaient payé nos milliards de 1871. Derrière l’alliance franco-russe, s’ébauchait une combinaison à trois dont le gouvernement britannique devait prendre ombrage, parce qu’elle était conçue en vue de l’expansion coloniale des grandes puissances du continent. Guillaume II donnait une flotte à l’Allemagne et il allait prononcer son mot retentissant : « Notre avenir est sur mer. » La Russie s’étendait en Extrême-Orient, où elle ne tarderait pas à se heurter au Japon dans un conflit désastreux. Quant à la France, c’était en Afrique surtout qu’elle développait son domaine. En 1882, sous l’influence de Clemenceau et du parti radical, le gouvernement français s’était désintéressé de l’Égypte que l’Angleterre avait occupée à titre provisoire, d’où elle ne partait plus et d’où elle se disposait à dominer toute l’Afrique orientale, du Cap au Caire. En novembre 1898, la mission Marchand, partie du Congo pour atteindre le haut Nil, s’était établie à Fachoda : avec ce gage entre les mains, le gouvernement français croyait être en état de poser de nouveau la question d’Égypte lorsque l’Angleterre le somma, sous menace de guerre, d’évacuer la place sans délai. Ainsi la politique coloniale nous menaçait d’un autre péril. Entre l’Angleterre et l’Allemagne, il fallait choisir.
Le ministre des Affaires étrangères de Waldeck-Rousseau, Théophile Delcassé, était d’origine radicale. Il gardait l’ancienne tradition du parti, opposé aux aventures lointaines et au rapprochement avec les vainqueurs de 1870. Il liquida l’affaire de Fachoda, et la France fut réconciliée avec le gouvernement britannique. Cette réconciliation nous associait aux intérêts de l’Angleterre et, si elle nous donnait une, garantie contre l’Allemagne, nous ramenait au danger d’une guerre continentale. Telle était la situation au lendemain des agitations de l’affaire Dreyfus, quand le gouvernement de défense républicaine, placé sous la dépendance de l’extrême gauche,
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