Histoire de France
révolution. Et Michelet a écrit ce mot qui va loin : « La Ligue donne pour deux cents ans l’horreur de la République. » Au siècle suivant, cette horreur sera renouvelée par la Fronde.
À la mort d’Henri III, la France, au fond d’elle-même, aspirait au retour de l’ordre. On se représente ce que trente ans de guerres civiles avaient déjà coûté. Quatre millions d’hommes peut-être. Et que de ruines ! « Pitié, confusion, misère partout », disait Henri IV. Le plus grand des maux, cause de tout, c’était encore l’anarchie. Qui gouvernerait ? La Ligue à Paris, et dans la plupart des grandes villes. Et l’esprit républicain des ligueurs ne le cédait guère à celui des protestants. Dans les provinces, des gouverneurs se taillaient des principautés. Le gouvernement légitime, régulier, n’était plus qu’un parti, celui des royalistes, et il s’en fallait de beaucoup qu’il fût le plus fort. Il avait pourtant l’avenir pour lui, comme le distingua tout de suite le Sénat de la République de Venise, qui fut la première puissance en Europe à reconnaître Henri IV.
Sans l’affaire de la religion, Henri de Bourbon n’aurait pas eu de peine à reconquérir son royaume. Il dut à la fin se convaincre que, si la France désirait un roi, elle ne voulait qu’un roi catholique. Choisir l’heure de la conversion, c’était la difficulté. Henri IV eût préféré ne se convertir que vainqueur, librement. S’il avait abjuré dès le lendemain de la mort d’Henri III, comme on l’en pressait, tant de hâte eût été suspecte. Il n’eût pas été sûr de désarmer les ligueurs et de rallier tous les catholiques, tandis que les protestants, qui déjà n’avaient en lui qu’une confiance médiocre, l’eussent abandonné. Pour ne pas tout perdre, il devait courir sa chance, attendre d’être imposé par les événements. La joie de Paris à la nouvelle du crime de Saint-Cloud, l’exaltation du régicide par la Ligue, l’avertissaient assez que l’heure n’était pas venue. Dans sa déclaration du 4 août, il se contenta de jurer que la religion catholique serait respectée et que, dans les six mois, un concile déciderait de la conduite à tenir. Cette demi-mesure, peut-être la seule à prendre, ne contenta pas tous les royalistes dont certains refusèrent de le servir tandis qu’un grand tiers de l’armée protestante s’en alla, reniant ce parjure. Sans la noblesse, qui lui fut généralement fidèle et mérita bien de la France, il n’eût gardé que bien peu de monde autour de lui.
Roi de France, Henri IV était plus faible que roi de Navarre, presque aussi faible que l’avait été Henri III. Il n’était en réalité qu’un prétendant et sa seule force était le principe héréditaire. Obligé de lever le siège de Paris, le voilà courant l’ouest de la France, poursuivi par l’armée de la Ligue, recevant des secours et des troupes de la reine d’Angleterre, tandis que les ligueurs étaient aidés par le roi d’Espagne : à travers nos guerres civiles, Élisabeth et Philippe II cherchaient à s’atteindre, l’étranger profitait de nos querelles, mais Henri IV s’honora en refusant à quelque prix que ce fût de promettre Calais. Mayenne, le frère d’Henri de Guise, qui commandait, d’ailleurs mal, l’armée de la Ligue, se fit battre à Arques, près de Dieppe. À Ivry (1590), le jour du « panache blanc », Henri IV remporta un autre succès. Victoires infiniment utiles à sa cause mais qui ne terminaient rien. Revenu sous les murs de Paris, la ville lui résista passionnément.
Que de sièges a subis Paris dans sa longue histoire ! Celui-là ne ressemble à aucun autre par l’obstination des assiégés. Tantôt bloqué, tantôt débloqué, Paris, de plus ou moins près, fut investi pendant près de quatre ans. Deux fois Henri IV crut y entrer de force. Il échoua deux fois. Il semblait que le roi calviniste fût rejeté par les murs eux-mêmes. Peut-être eût-il réussi enfin par le blocus et la famine, qui fut terrible, si le duc de Parme, envoyé par Philippe II à la tête d’une armée espagnole, ne l’eût obligé à s’éloigner. Toutefois Henri IV ne cédait pas et Paris non plus. Les six mois qu’il avait fixés étaient écoulés depuis longtemps et, la situation n’ayant pas changé, Henri IV jugeait toujours sa conversion humiliante et plus propre à l’affaiblir qu’à le fortifier. Pour sortir de là, il fallait
Weitere Kostenlose Bücher