Histoire de France
que la Ligue se reconnût impuissante à donner à la France un gouvernement régulier.
Le sien était chaotique, révolutionnaire. Sans doute la Ligue avait un roi, mais ce roi, le prétendu Charles X, cardinal de Bourbon, n’était qu’une figure décorative et, par surcroît, il avait été prisonnier d’Henri III qui s’était bien gardé de le relâcher, le hasard l’ayant mis entre ses mains. Le roi de la Ligue ne devait pas tarder à mourir, et sa mort excita de nombreuses ambitions. On était tellement convaincu que jamais Henri IV ne parviendrait à se faire reconnaître, que des candidats au trône se présentèrent. Le roi d’Espagne le réclama, nonobstant la loi salique, pour sa fille Isabelle, petite-fille d’Henri II. Le duc de Savoie, petit-fils de François 1er, se mit sur les rangs : celui-là pensait que la France serait démembrée et se fût contenté du Dauphiné et de la Provence. Le duc de Lorraine était encore candidat, ainsi que Mayenne qui comptait bien que le pain cuisait pour lui. Ces ambitions s’opposaient et se paralysaient. Henri IV en profita.
Cependant, les maîtres de Paris, appuyés sur l’organisation de la Ligue, c’étaient les Seize, et ce comité de salut catholique régnait par la terreur, appliquait à ses adversaires et même aux modérés les mesures classiques des révolutions, loi des suspects, saisie des biens d’émigrés, proscription, épuration des fonctionnaires. Après un jugement sommaire, le premier président du Parlement et deux conseillers furent pendus pour « trahison ». Cet acte de terrorisme inquiéta Paris, plus encore le duc de Mayenne. Jusqu’où les obscurs tyrans iraient-ils ? Déjà ils avaient appelé une garnison espagnole, ils envoyaient des adresses de fidélité à Philippe II. Le duc de Mayenne, encouragé par les ligueurs « politiques » qui, au fond, étaient les plus nombreux dans la population parisienne, brisa la faction des Seize dont quelques-uns furent pendus à leur tour. Ceux qui ne s’enfuirent pas furent jetés en prison.
La Ligue subsistait, mais son pouvoir politique était diminué, son organisation affaiblie. En frappant la démagogie, Mayenne rendait service à Henri IV, s’il croyait ne travailler que pour lui-même. D’ailleurs, le temps passait et, ni d’un côté ni de l’autre, on n’arrivait à rien. On couchait sur ses positions. Henri IV, repoussé de Paris, avait, dans les mêmes conditions, échoué devant Rouen qui ne voulait pas non plus de « roi hérétique » Cette impuissance des deux camps engendrait la lassitude qui elle-même conduisait à des tentatives de rapprochement. Le parti des politiques, le tiers parti, commençait à dire tout haut que la mieux serait de s’entendre avec la roi de Navarre. Mais la difficulté était toujours la même, car Henri IV voulait être reconnu sans conditions. Déjà résolu à « sauter le pas », à se convertir, il voulait que son abjuration fut volontaire. Il entendait ne devoir la couronne qu’à la légitimité et ne laisser la monarchie dépendre de rien ni de personne, ni de la religion, ni du pape, ni de l’autorité usurpés par une ligue. Toute sa manœuvre tendit à préserver l’indépendance du pouvoir royal et à éviter jusqu’aux apparences d’une constitution imposée par les ligueurs.
Pour que sa légitimité l’emportât, il fallait une dernière expérience : c’était que la Sainte-Union fût reconnue incapable de fonder un gouvernement régulier. Les états généraux de 1593, convoqués pour l’élection d’un roi, aboutirent à un échec complet. Là encore, ce fut le duc de Mayenne qui, sans le vouloir, aida Henri IV. Désireux de prendre pour lui-même la royauté vacante et d’écarter l’infante dont la candidature était posée par Philippe II, protecteur de la Ligue, Mayenne adressa un appel aux royalistes et leur demanda de participer aux états. Henri IV saisit cette occasion pour affirmer ses droits et annoncer qu’il était prêt à se convertir. Cette nouvelle, lancée à point, produisit une sensation immense. Parmi les ligueurs, le groupe des politiques fut encouragé. L’élan, la faveur publique passaient de leur côté et le pamphlet que rédigeaient quelques-uns d’entre eux, polémistes et journalistes de talent, la célèbre Satire Ménippée, ridiculisait les intransigeants et rendait odieux leurs alliés espagnols. Même dans les états ligueurs, la résistance à
Weitere Kostenlose Bücher