Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
possibles ; la ressemblance grâce à laquelle on peut passer de l ’ un à l ’ autre, puisque le sensible est l ’ image de l ’ intelligible, intéresse moins parce qu ’ elle explique le monde sensible que parce qu ’ elle permet de remonter à ce qui est en soi sans rapport au monde. La vie des dieux, dans le mythe, est indifférente au monde des humains ; la réalité intelligible de Plotin ne connaît pas non plus le monde et ne s ’ abaisse pas à lui ; son état d ’ esprit est, subtilisé à l ’ extrême, l ’ état d ’ esprit mythologique.
Le II I e siècle et les deux suivants marquent, dans le paganisme, une tentative pour saisir la structure et les articulations de cette réalité. La philosophie de ce temps est une manière de description des paysages métaphysiques où l ’ âme se transporte par une sorte d ’ entraînement spirituel.
Un de ses initiateurs fut Ammonius Saccas, qui enseigna à Alexandrie au moins de 232 à 243 et qui révéla à Plotin, déjà p.450 âgé de vingt-huit ans, la philosophie véritable : personnage d ’ ailleurs fort mal connu ; il n ’ a rien écrit ; de ses disciples, nous connaissons, outre Plotin, le philologue Longin, Hérennius, enfin un Origène qu ’ il n ’ y a aucune raison décisive d ’ identifier avec Origène le chrétien, bien qu ’ il soit de la même époque ; mais nous ignorons tout de ce qu ’ on enseignait dans l ’ école d ’ Ammonius. Il faut attendre au V e siècle avant d ’ entendre parler des idées d ’ Ammonius par Némésius et par Hiéroclès, et il n ’ y a aucune raison décisive de croire que c ’ est bien d ’ Ammonius Sakkas qu ’ ils parlent. Nous ne pouvons donc saisir le rôle de ce maître aimé dans la formation d ’ esprit de Plotin.
Plotin (205-270), élève d ’ Ammonius de 232 à 243, le quitte pour suivre l ’ empereur Gordien dans son expédition contre les Perses ; en 245 il est à Rome, où il reste jusqu ’ à sa mort ; il y réunit quelques disciples enthousiastes, et parmi eux Porphyre qui fut son secrétaire. C ’ est sur les instances de ces disciples, semble-t-il, qu ’ il se décide très tardivement, en 255, à écrire et à publier. Il rédigeait fort vite et sans revoir, confiant à Porphyre le soin des corrections matérielles ; ainsi sont nés, dans un ordre de succession que nous donne Porphyre, en sa Vie de Plotin , les cinquante-quatre traités dont Porphyre, après la mort de Plotin, a donné une édition d ’ ensemble en les groupant en six Ennéades, ou groupes de neuf. Ces traités paraissent reproduire fidèlement son enseignement oral ; ils ne donnent pas du tout un exposé suivi et progressif de la doctrine, mais plutôt une série de conférences élucidant des points particuliers, la valeur de l ’ astrologie, la manière dont l ’ âme descend dans le corps et lui est unie, le problème de la mémoire dans les diverses espèces d ’ âmes, depuis l ’ âme humaine jusqu ’ à l ’ âme du monde, mais les étudiant en fonction d ’ une vision de l ’ univers qui est toujours active et présente.
Cette vision de l ’ univers n ’ est pas particulière à Plotin ; nous l ’ avons vu s ’ esquisser chez Posidonius lorsqu ’ il distingue et range par ordre ce que l ’ ancien stoïcisme identifiait ; dieu, p.451 destin, nature ; nous l ’ avons vu se préciser chez Modératus, avec sa théorie de la triple unité. Quel en est le principe ? L’on a vu les Stoïciens (et Plotin reprend formellement leur thèse) soutenir que le degré de réalité d ’ un être dépendait du degré d ’ union de ses parties, depuis le tas de pierre, aux parties seulement juxtaposées, jusqu ’ à l ’ être vivant dont toutes les parties sont maintenus par la tension de l ’ âme, en passant par un corps collectif, tel qu ’ un chœur ou une armée. On peut concevoir l ’ union s ’ accroissant au point que les parties se fusionnent et deviennent de plus en plus inséparables : ainsi l ’ on ne peut parler dans le même sens des parties d ’ un corps vivant et des parties d ’ une science ; dans un corps vivant, les parties sont solidaires, mais localement séparées ; dans une science, une partie c ’ est un théorème, et chaque théorème contient en puissance tous les autres ; on voit ainsi comment un degré d ’ unification de plus nous fait passer du corporel au spirituel.
Mais, toute réalité où l ’ union
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