Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
; car si l ’ origine de la connaissance intellectuelle est dans la sensation, il faut que l ’ intellect subisse l ’ action du corps ; mais comment le pourrait-il s ’ il est incorporel ? Et comment p.446 pourrait-il être maître de sa pensée, puisque rien ne pâtit de soi-même ? Enfin, si une intelligence n ’ est rien en acte, mais si elle est tout en puissance, en quoi diffère-t-elle de la matière première ? A propos de l ’ intellect-agent, les difficultés ne sont pas moindres ; car on ne peut dire comment il vient en l ’ âme, et s ’ il lui est inhérent, pourquoi l ’ oubli, l ’ erreur et le mensonge [643] ? »
Nous connaissons par Alexandre d ’ Aphrodise [644] la solution que son maître Aristoclès essayait de ces difficultés ; on va voir qu ’ elle est suggérée par le stoïcisme (et la confusion que l ’ on commit longtemps entre Aristoclès et Aristotélès, et qui fit attribuer à Aristote lui-même les idées de celui-là ne contribua pas peu à obscurcir le sujet). Aristoclès admet d ’ abord que ce qu ’ Aristote appelle l’intellect matériel ou en puissance est un intellect qui croît naturellement, comme toutes nos autres facultés, par le progrès de l ’ âge et qui est capable d ’ opérer l ’ abstraction. Néanmoins cette activité, inhérente à l ’â me, n ’ est possible que parce qu ’ il y a un intellect venu du dehors, pensée pure, intelligence divine partout répandue dans la matière, comme une substance en une substance, traversant tout et étant en n ’ importe quel corps. Lorsque cet intellect en acte rencontre un mélange corporel favorable, elle agit par lui comme par un instrument, et l ’ on dit que nous pensons. Notre intelligence matérielle ou en puissance n ’ est donc, comme toutes nos autres facultés, qu ’ une certaine combinaison organique, qui peut servir d ’ instrument à la pensée.
Cette doctrine répond aux objections de Théophraste ; mais Alexandre estime qu ’ elle s ’ écarte trop de l ’ opinion du maître. Pour lui, il distingue quatre intellects, l ’ intellect en puissance ou hylique, capacité de recevoir les formes, semblable à une table rase, ou plutôt « à ce caractère qu ’ elle a d ’ être rase » , intellect différent de la matière première, puisqu ’ il ne p.447 devient pas telle ou telle chose en particulier et parce qu ’ il ne pâtit pas comme la matière. En second lieu, l ’ intellect acquis, ou l ’ intellect comme disposition, qui naît lorsque l ’ intelligence a appréhendé l ’ universel, en séparant par abstraction les formes de la matière ; il est l ’ ensemble des pensées qui sont toujours à notre disposition, comme la science est à la disposition du savant, bien qu ’ il n ’ y pense pas toujours actuellement. Enfin l ’ intellect en acte est la pensée actuelle, dans laquelle le sujet est identique à son objet.
Ces trois intellects décrivent les trois phases de l ’ activité intellectuelle, de la puissance à la disposition et de la disposition à l ’ acte. Le quatrième intellect est l ’ intellect agent, la cause qui fait passer à l ’ acte les intelligibles en puissance. Il faut qu ’ il soit par conséquent lui-même intelligible en acte, par sa propre nature, séparé et sans mélange. Dans cet intellect agent, Alexandre est amené à reconnaître non plus une faculté de l ’ âme, mais l ’ acte pur, la pensée de la pensée, en un mot le Dieu d ’ Aristote. C ’ est donc Dieu qui est l ’ agent de l ’ opération intellectuelle en nous ; ce n ’ est point une vision en Dieu mais c ’ est, si l ’ on peut dire, une vision par Dieu. Grâce à Alexandre, chez les Péripatéticiens comme chez les Platoniciens, la méditation sur la nature de la connaissance intellectuelle et sur son objet nous amène non pas à la science, mais à la théologie.
Bibliographie
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CHAPITRE VII
DÉVELOPPEMENT DU NÉOPLATONISME
I. — PLO TIN
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p.449 Le néoplatonisme est essentiellement, on l ’ a déjà vu, une méthode pour accéder à une réalité intelligible et une constructiqn ou description de cette réalité. La plus grosse erreur que l ’ on pourrait commettre, c ’ est de croire que cette réalité a pour fonction essentielle d ’ expliquer le sensible ; il s ’ agit avant tout de passer d ’ une région où la connaissance et le bonheur sont impossibles à une région où ils sont
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