Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
n ’ a pas à se défendre ? Quel besoin l ’ être vivant intelligible a-t-il d ’ organes du sens, en une région où il n ’ y a nulle chose sensible ? » il répond : « Afin que tout soit, afin que le monde intelligible contienne toutes les richesses possibles » ; la sensation, dans l ’ être vivant matériel, est non pas, comme le disent les Stoïciens, simple impression d ’ une matière sur une autre, mais garde encore quelque chose de spirituel et d ’ immatériel qui garantit son origine intelligible. Et Plotin refuse d ’ expliquer la production des organes des sens par rien de tel qu ’ un hasard heureux ou une providence attentive ; ils ne sont qu ’ une imitation dégradée d ’ une réalité plus haute [653] .
La deuxième hypostase est donc un véritable monde, p.456 complet, parfait, et non pas un simple schéma abstrait du monde sensible.
La deuxième hypostase est aussi l ’ être ou essence ; c ’ est-à-dire le contenu concret ou positif d ’ une chose qui fait d ’ elle un objet de connaissance. La première hypostase était au-dessus de l ’ être, et on devait en nier tout caractère positif ; la seconde est l ’ être même, c ’ est-à-dire tout ce qui fait que la réalité a une forme qui la rend connaissable.
Enfin, la seconde hypostase est l ’ intelligence. Plotin introduit sur ce point des nouveautés qui ont frappé ses contemporains, qui ont notamment beaucoup choqué Porphyre à son entrée dans l ’ école. L ’ intelligence est ce qui connaît l ’ être ou essence : or, entre l ’ être ou intelligible, qui est connu et l ’ intelligence, qui le connaît, il faut admettre, semble-t-il, une distinction : l ’ être est posé d ’ abord comme la réalité en acte puis l ’ intelligence dont les virtualités s ’ actualisent lorsqu ’ elle appréhende l ’ être ; il est même essentiel au platonisme de poser l ’ intelligible avant l ’ intelligence ; c ’ est Aristote et Anaxagore qui, prenant l ’ intelligence pour principe, ne savent pas la définir et suppriment l ’ intelligible. Si un Platonicien acceptait l ’ intelligence comme principe second, c ’ est qu ’ il mettait comme principe premier l ’ intelligible, à la manière de Platon qui, dans le Timée , a décrit l ’ intelligence du démiurge contemplant hors d ’ elle-même et au-dessus d ’ elle les modèles idéaux à l ’ imitation desquels sont produites les choses. Or Plotin ne suit pas du tout cette tradition : il prend à son compte la formule connue d ’ Aristote : dans la science, la chose sue est identique au sujet qui connaît, et il refuse d ’ admettre que les intelligibles soient en dehors de l ’ intelligence. Sans doute, il est fidèle à Platon, lorsqu ’ il s ’ agit de mettre au-dessus de l ’ intelligence une réalité dont elle a la vision ; mais cette réalité, qui est l ’ Un, n ’ est plus l ’ intelligible. Pourquoi donc ce changement si profond ? Rappelons d ’ abord que si le Timée subordonnait l ’ intelligence démiurgique aux modèles idéaux, en revanche la République p.457 faisait du Bien le principe commun du connaissant et du connu, comme le soleil est le principe commun des choses visibles et de la sensation visuelle ; intelligence et intelligible, connaissant et connu sont ainsi au même niveau. Ainsi Plotin, lu i aussi, se réclamait de Platon. Mais de plus et surtout, la thèse contraire lui paraît introduire en philosophie toutes les difficultés de la théorie de la connaissance des dogmatismes postaristotéliciens. Si l ’ intelligible est en dehors de l ’ intelligence, il faudrait se figurer une intelligence sans pensée actuelle et dans laquelle viennent s ’ imprimer, par rencontre, les intelligibles, à la manière des sensibles sur les organes des sens ; cette intelligence serait imparfaite, incapable d ’ appréhender éternellement son objet, incapable d ’ atteindre la certitude sur son objet dont elle ne posséderait qu ’ une image. L ’ Intelligence hypostase doit donc découvrir en elle-même toute la richesse du monde intelligible. La pensée de soi-même lui donne non seulement (comme le cogito augustinien ou cartésien) la certitude formelle de son existence, mais la certitude de son contenu ; sa connaissance s ’ y arrête, comme elle y commence [654] .
Ici se trouve, semble-t-il, l ’ unité des spéculations de Plotin sur la seconde hypostase :
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