Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
chez Al Farabi, la connaissance est due à l ’ influence que l ’ intellect agent, ou intellect de la sphère de la lune, exerce sur les intellects disposés à la subir ; c ’ est lui qui a donné aux choses sensibles leurs formes ou quiddités, autant que la matière est susceptible de les recevoir, et c ’ est lui qui produit dans les intellects la connaissance. Mais Avicenne distingue plusieurs ordres de connaissance : il y a la connaissance des principes premiers ou axiomes, la connaissance des idées abstraites, enfin la connaissance par révélation, telle que celle de l ’ avenir ; au premier correspond l ’« intellect disposé ou préparé » , ainsi appelé parce que la puissance y est proche de l ’ acte ; au second, l ’ intellect en acte qui perçoit actuellement les formes intelligibles que l ’ intellect matériel ou possible perçoit en puissance ; au troisième l ’ intellect émané ou intellect infus qui « vient du dehors » .
p.619 Avicenne a décrit avec abondance le mécanisme du second de ces intellects. On arrive, par un lent progrès, à dégager la notion abstraite de la chose sensible ; l ’ opération commence avec la sensation qui ne reçoit de l ’ objet que la forme ( « ce n ’ est pas la pierre qui est dans l ’ âme, mais sa forme » ), mais non dépouillée encore de ses « dépendances matérielles » , c ’ est-à-dire des caractères dus à la matière qui en font un individu, ni des accidents qui tombent sous les catégories autres que la substance : quantité, situation, etc. La « fantaisie ou formative » , placée en la cavité gauche du cerveau, garde encore à l ’ image son individualité, mais commence à la séparer des conditions de lieu ou de temps où elle existait. Puis la « cogitative, imaginative ou collective » , l ’ associant à d ’ autres images semblables, produit une sorte de notion grossière qui, sans être encore débarrassée des caractères individuels, tend vers l ’ universel. Les images rendent possible l ’« opinion » , par laquelle, sans aucune réflexion, la brebis par exemple distingue le loup des autres animaux. C ’ est dans les images, ainsi préparées, que l ’ âme raisonnable, sous l ’ influence de l ’ intellect agent, découvre les formes abstraites, à partir desquelles les opérations logiques et réfléchies deviennent possibles.
Mais Avicenne reconnaît les étroites limites de cette connaissance intellectuelle chez l ’ homme ; « l ’ homme ne peut connaître l ’ essence des choses, mais ce qui en est inséparable ou en est propre » ; par exemple, du corps, il sait non pas ce qu ’ il est, mais qu ’ il a trois dimensions ; les essences sont seulement conclues des propres [815] . L ’ âme peut pourtant arriver à un état plus parfait : dans l ’ état de sommeil, dépouillée du corps, elle est mieux disposée à recevoir l ’ influence de l ’ intellect agent qui, déversée sur la faculté imaginative, produit les songes prophétiques ; et après la mort, elle atteindra une connaissance plus parfaite encore.
p.620 Un contemporain d ’ Avicenne est Alhazen (965-1038) dont la Perspective et l ’ étude de l ’ optique ont eu la plus grande influence sur les latins du XI I e siècle : il est l ’ auteur d ’ une analyse de la perception visuelle qui, encore aujourd ’ hui, reste classique et que nous retrouverons chez Witelo.
VI. — AL GAZALI
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L ’œu vre d ’ Al Gazali (1058-1111), qui enseigna à Damas et à Jérusalem nous est un témoignage de l ’ inquiétude que causait la diffusion du péripatétisme dans l ’ Islam : sa Tehâfut el Falâsifah (Destruction des philosophes) est consacrée à exposer le péripatétisme pour le réfuter ensuite. A la thèse de l ’ éternité du monde, il réplique qu ’ elle blesse la volonté d ’ indifférence que l ’ on doit attribuer à Dieu, en lui imposant éternellement le choix d ’ un ordre déterminé ; l ’ infinité du temps passé implique la régression à l ’ infini des causes, qui est impossible, puisque le nombre infini, n ’ étant ni pair ni impair, est contradictoire. Les philosophes n ’ ont pu démontrer non plus ni l ’ unité de Dieu, ni la spiritualité de l ’ âme, ni la nécessité du lien causal.
Il est d ’ ailleurs difficile de définir l ’ attitude propre de Gazali : selon Averroès, « il n ’ appartient à aucune
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