Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
connaître les démonstrations logiques, dit-il, doit longtemps s ’ attarder aux démonstrations géométriques et en recevoir les règles, d ’ autant qu ’ elles sont plus faciles à comprendre, parce qu ’ elles se servent d ’ exemples sensibles. » La démonstration est pour lui une sorte de mesure pour laquelle il faut « d ’ abord avoir une règle juste et ensuite la bien appliquer [814] ». Elle suppose donc des connaissances antérieures et indémontrables qui sont de trois espèces : d ’ abord la connaissance de l ’ existence de l ’ objet dont on veut démontrer les attributs ( an sit ) ; cette connaissance est donnée directement par les sens ; la connaissance des axiomes universels connus par soi tels que les neuf axiomes d ’ Euclide, connaissance commune et qui n ’ exige ni méditation ni réflexion ; enfin la connaissance de la quiddité ou définition de l ’ objet, connaissance qui, au moyen des axiomes, permettra de démontrer les attributs.
On se rappelle toute les difficultés qu ’ avait engendrées chez p.615 Aristote la théorie de la définition et de la quiddité : Al Kindi se trouve en présence des mêmes difficultés : la quiddité d ’ un être n ’ est cornue ni par les sens qui n ’ atteignent que l ’ existence, ni par l ’ induction qui n ’ atteint que les propriétés. Il faut donc, pour dégager la quiddité des données sensibles, une opération spéciale, qui est décrite dans le traité De intellectu et intellecto . Conformément au théorème fondamental de la métaphysique d ’ Aristote : un être ne peut passer de la puissance à l ’ acte sinon sous l ’ influence d ’ un être déjà en acte, il faut qu ’ il existe un « intellect toujours en acte » , qui pense toujours les quiddités ; ainsi s ’ explique que « l ’ intellect en puissance » qui est dans l ’ âme (c ’ est-à-dire la capacité de penser les quiddités), puisse devenir « l ’ intellect qui passe de la puissance à l ’ acte » , et aboutisse à l ’ « intellect acquis ( adeptus ) » , capable de démonstration. Ainsi la connaissance des quiddités n ’ a lieu que dans une âme capable de la recevoir, et grâce à une intelligence première toujours en acte qui, étant la forme universelle des choses (Dieu) et donnant aux choses leurs quiddités ou formes, accorde aussi ces formes à l ’ intelligence en puissance.
IV. — AL FARABI
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Ces vues sur l ’ opération intellectuelle impliquaient donc en germe toute une théologie, celle que nous trouvons développée chez Al Farabi (né à la fin du I X e siècle). En elle viennent se croiser l ’ influence d ’ Aristote, et celle de Platon. A Aristote, il emprunte sa théologie astrale, simplifiée par l ’ astronomie arabe : un Dieu suprême au-dessus des mondes, les cieux composés de huit sphères concentriques et emboîtées, celle des fixes et celles qui portent chacune des sept planètes, chacune des sphères ayant son mouvement circulaire propre dirigé par une intelligence ; au-dessous enfin la sphère sublunaire. A Plotin (par la pseudo Théologie d’Aristote), il emprunte l ’ image générale de la production des p.616 êtres, de cette sorte de loi d ’ évolution qui va de l ’ Un au Multiple, de l ’ Éternel au Temporel et au Changeant. Au début, un principe suprême, Dieu, qui, connaissant son essence, connaît par là même toutes les choses ; il les connaît d ’ abord dans leur unité absolue, identique à sa propre essence ; et c ’ est là sa première science ; il les connaît ensuite dans l ’ infini détail de leur multiplicité ; et c ’ est là sa seconde science, réductible au fond à la première. Comment de cette absolue unité dérivera la multiplicité ? Qu ’ on se rappelle comment chez Plotin, de l ’ Un naissait l ’ Intelligence ; quelque chose d ’ indéterminé émane de l ’ Un et, se retournant vers l ’ Un, cette chose devient intelligence en le contemplant et en se connaissant elle-même. C ’ est la description même d ’ Al Farabi : de l ’ Un éternel ne peut venir qu ’ un être unique et éternel qui est un intellect ; étant dérivé, il est composé ; car il n ’ est par lui-même que possible. Il faut donc distinguer en lui la connaissance qu ’ il a du Principe, comme fondement de son existence ; la connaissance de son existence comme possible, c ’ est-à-dire de sa matière
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