Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
de la destinée qui se manifeste chez les poètes philosophes de la Grande-Grèce, a pour thè me principal le calme d ’ un e âme exempte de crainte et de superstition. D émoc rite admet l ’ existence des dieux, mais ce sont, au même titre que les hommes, d e s co m bin aisons d ’atomes pas sagè res et soumises à la nécessité universelle [149].
XI. — LES SOP H IST E S
@
Les derniers philosophes dont nous avons parlé vivent au milieu de l ’ extraordinaire effervescence spirituelle qui ma rque p.81 la fin des guerres m é diq ues (449) ; la Grèc e est soustraite au danger barbare ; l ’ empire mari time athénien comprend une partie des îl es de l ’ Égée et la vieille terre de civilisation qu ’ est l ’ Ionie : Périclès (mort en 429) introduit à Athènes la constitution démocratique. Ébranlement moral très profond, qui se traduit sur le théâtre : tandis qu ’ Eschyle (mort en 456) représentait sur la scène les dangers de la démesure et les crimes qui consistent à dépasser les limites marquées par la justice divine, Euripide (mort vers 411) ne cesse pas de marquer le caractère humain, provisoire, conventionnel des règles de la justice. D ’ autre part, la comédie attique, défendant les vieilles traditions, raille, parce qu ’ elle les craint, les idées nouvelles qu ’ introduisent la science ionienne et aussi l ’ enseignement des sophistes.
La sophistique, qui caractérise les cinquante dernières années du V e siècle, ne désigne pas une doctrine, mais une manière d ’ enseigner. Les sophistes sont des professeurs qui vont de ville en ville chercher leur auditoire et qui, pour un prix convenu, appre n nent à leurs élèves, soit en des leçons d ’ apparat, soit en une série de cours, les méthodes pour faire triompher une thèse quelle qu ’ elle soit. A la recherche et à la publication de la vérité est substituée la recherche du succès, fondé sur l ’ art de convaincre, de persuader, de séduire. C ’ est l ’ époque où la vie intellectuelle, dont le centre passe en Grèce continentale, prend la forme d ’ un concours ou d ’ un jeu, cette forme agonistique, si familière à la vie grecque ; il ne s ’ agit que de thèses défendues ou combattues par des concurrents auxquels un juge souverain, qui est souvent le public, décerne le prix. Tel est le débat qu ’ Aristophane nous montre s ’ élevant entre la thèse juste et la thèse injuste. « Qui es-tu ? demande le juste. — Une thèse. — Oui, mais inférieure à la mienne. — Tu prétends m ’ être supérieur et je tiens la victoire. — Quelle habileté as-tu donc ? — J ’ invente des raisons nouvelles. » Tel le débat sur l ’ idéal de vie qu ’ Euripide dépeint dans l ’ Antiope entre l ’ ami des muses et l ’ homme politique. Platon nous montre, par p.82 con traste, Socrate se dérobant à ces concours ; c ’ est, dans le Protagoras , Hippias essayant vainement d ’ instituer un débat de ce genre entre Socrate et Protagoras ; c ’ est, dans le Gorgias , Calliclès, qui, après avoir prononcé un discours en faveur de la justice naturelle, se plaint que Socrate contrevienne aux règles du jeu en ne lui répondant pas par un autre discours [150] . Il y a là une préoccupation de l ’ auditoire que nous connaissions à peine jusqu ’ ici. Le philosophe ne révèle plus la vérité, il la propose et se soumet d ’ avance au verdict de l ’ auditeur. C ’ est un trait qui devient permanent : à la suite de l ’ époque des sophistes, on prend à tâche de définir le philosophe par rapport à l ’ orateur, au politique, au sophiste, c ’ est-à-dire à tous ceux qui s ’ adressent à un public [151] .
Dans ces conditions la principale valeur intellectuelle est l’érudition qui met l’homme en possession de toutes les connaissances utiles à son objet, et la virtuosité qui lui permet de choisir ses thèmes avec à propos et de les présenter d’une manière captivante. De là, les deux caractères essentiels des sophistes : d’une part ce sont des techniciens qui se vantent de connaître et d’enseigner tous les arts utiles à l’homme ; d’autre part, des maîtres de rhétorique qui enseignent à capter la bienveillance de l’auditeur.
Au premier égard, la sophistique peut passer pour la première affirmation consciente d’elle-même de la supériorité de la vie sociale, fondée sur les techniques, depuis
Weitere Kostenlose Bücher