Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
siècle, d’une part au cynisme politique, d’autre part à la pure virtuosité. D’une part le cynisme politique des aristocrates athéniens, Critias et Alcibiade, qui s’exprime si souvent dans l’ Histoire de la guerre du Péloponése de Thucydide [159] , et que Platon a immortalisé dans le Calliclès du Gorgias : c’est à la dépravation politique et morale d’ un Calliclès pour qui le pou voir n’est plus qu’un moyen de satisfaire ses appétits, qu’aboutit l’enseignement de la rhétorique par Gorgias. L’autre issue, c’est la pure virtuosité, celle que l’on trouvait déjà dans le traité de Gorgias sur le non-être, où se servant des moyens dialectiques de l’éléatisme, il démontre qu’il n’y a rien, ou que si quelque chose existe, c’est inconnaissable, ou que, si c’est connaissable, c’est impossible à transmettre aux autres [160] . Virtuosité qui se marque par l’importance que l’on attribue au bien dire, l’enseignement rhétorique de Gorgias, les travaux de grammaire générale de Protagoras, les recherches de Prodicus sur les synonymes. Virtuosité qui trouve ses ressources d’argumentation dans de petites œuvres comme les Doubles discours qui résument schématiquement la double thèse contraire que l’on peut avoir à soutenir sur des questions morales ; virtuosité qui a enfin sa dernière manifestation dans l’art de dispute ou éristique, dont Platon s’est si cruellement moqué dans l’ Euthydème : l’éristique a des moyens très faciles de venir à bout de son adversaire par deux ou trois principes fort simples tels que : l’erreur est impossible, et : toute réfutation est impossible [161] .
Tels étaient, malgré les talents supérieurs des sophistes, les p.86 résultats d’une conception de la vie intellectuelle uniquement dirigée par le succès. Pourtant de ce mouvement pas plus que des précédents, rien de positif n’est perdu : naturalisme ionien, rationalisme de la Grande-Grèce, esprit religieux d’Empédocle et des Pythagoriciens, humanisme des Sophistes, nous allons voir tous ces traits s’unir chez le plus prestigieux de philosophes grecs, chez Platon.
Bibliographie
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CHAPITRE IV
ARISTOTE ET LE LYCÉE
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p.168 Aristote est né en 385 à Stagire, ville située sur la côte septentrionale de l ’ Égée à l ’ est de la Chalcidique. De son père, qui était médecin, il ne put subir l ’ influence, puisqu ’ il était fort jeune lorsqu ’ il le perdit. Il passa de longues années dans l ’ école de Platon, où il entra en 367. A la mort du maître, il se trouvait, avec d ’ autres élèves de Platon, dont Xénocrate, à Assos en Éolide auprès du tyran Hermias d ’ Atarnée. Il y vécut plusieurs années, non sans doute sans profiter de l ’ expérience politique d ’ Hermias, qui avait à manœuvrer entre les deux puissances du jour, la Macédoine et la Perse. En 343, il se trouve à Mitylène dans l ’îl e de Lesbos ; c ’ est alors qu ’ il fut appelé par Philippe, roi de Macédoine, à sa cour de Pella, pour se voir confier l ’ éducation du jeune Alexandre ; il s ’ acquit parmi les Macédoniens de puissantes amitiés dont celle d ’ Antipater ; son propre neveu Callisthènes était parmi les amis d ’ Alexandre, dont il fut ensuite la victime. Lorsqu ’ il retourna, en 335, dans Athènes où le parti national, réduit au silence après la déchéance politique de la cité, subsistait pourtant encore, ce métèque devait être connu comme partisan de la Macédoine. Il ne rentra pas à l ’ Académie, mais fonda au Lycée une nouvelle école, où il enseigna pendant treize ans. A la mort d ’ Alexandre (323), le parti national athénien que dirigeait encore Démosthènes l ’ obligea à quitter la ville ; il se retira à Chalcis, en Eubée, dans une propriété héritée de sa mère, où il mourut en 322, à 63 ans. Vie bien différente de celle de Platon ; ce n ’ est plus p.170 l ’ Athénien de haute naissance, politique jusqu ’ au fond de l ’ âme, qui ne sépare pas la philosophie du gouvernement de la cité ; c ’ est l ’ homme d ’ étude qui s ’ isole de la cité dans les recherches spéculatives, qui fait de la politique elle-même un objet d ’ érudition et d ’ histoire bien plus qu ’ une occasion d ’ agir. De Platon l ’ on ne connaît que les écrits qu ’ il destinait au public, et l ’ on ignore à peu près tout de
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