Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
la succession des jours et des nuits, et en général des périodes, il est lié aux mouvements réguliers du ciel et naît, comme dit Platon, avec le ciel [308] ; c ’ était à la fois assurer une notion claire du temps, et éliminer l ’ antique et vague image cosmogonique d ’ un temps primitif p.213 antérieur au monde. Sur ce dernier point, Aristote s ’ accorde naturellement avec Platon ; sur le premier, il admet bien sans doute que le temps est lié au mouvement, qu ’ il est quelque chose du mouvement ; et il en donne comme preuve que, dès que nous ne percevons plus le changement, par exemple dans l ’ état de sommeil et dans les états où l’âme ne change pas, nous ne percevons plus le temps ; mais Platon a eu tort de croire qu ’ il dépendait seulement du mouvement du ciel. Identifier le temps avec le jour, ses multiples et ses sous-multiples, c ’ est confondre le temps avec l ’ unité de mesure par laquelle nous le mesurons ; c ’ est réaliser le temps en dehors des mouvements qu ’ il mesure ; c ’ est faire du temps un nombre nombrant, le nombre par lequel nous comptons le temps, nombre qui se rattache effectivement aux mouvements célestes. Mais le temps est en réalité la chose que nous comptons, le nombre nombré ; et il est en chaque mouvement, quel qu ’ il soit ; car chaque mouvement a sa durée, comme un attribut qui lui appartient ; c ’ est « le nombre du mouvement selon l ’ antérieur et le postérieur » , c ’ est-à-dire ce qu ’ à un instant donné, l ’ instant présent, qui est la fin du passé et le début de l ’ avenir, nous pouvons compter comme antérieur et comme postérieur. Nous le comptons au moyen des révolutions célestes, comme nous comptons une longueur au moyen de la coudée, sans que la longueur appartienne moins à la chose elle-même.
Ainsi s ’ orientent les efforts d’Aristote, pour transformer les notions de mouvement, d ’ infini, de lieu et de temps : en refusant de les concevoir comme séparés de la substance, il rejetait tout l ’ esprit des anciens physiciens, et il inaugurait un mouvement de pensée dont on verra plus tard les abus et les dangers.
VIII. — PHYSIQUE ET ASTRONOMIE : LE MONDE
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C ’ est dans le même esprit qu ’ Aristote élabore l ’ image du monde qu ’ il recevait des astronomes géomètres du Ve et du V I e siècle.
p.214 Pour bien saisir la position d’Aristote, il faut se rendre compte du contraste qu’il y avait entre la représentation mathématique de l’univers créée par les astronomes et la représentation des physiciens. C’était un désaccord complet : d’une part, un ciel de même nature que les météores, engagé comme eux dans le devenir incessant des naissances et des corruptions ; un mouvement éternel unique dont l’état actuel de l’univers est seulement un des aspects ; une tendance à un mobilisme universel qui ne laisse nulle permanence à rien qu’au mouvement : d’autre part, l’astronomie de Platon et d’Eudoxe substitue au ciel sensible un ciel d’une structure géométrique permanente, composé de cercles ou de sphères concentriques animées chacune d’un mouvement uniforme ; elle affirme l’existence de mouvements distincts et irréductibles, puisque le système ne réussit que si chacune des sphères est animée d’un mouvement propre, indépendant du mouvement des autres ; elle met enfin en lumière l’opposition entre l’intelligibilité presque parfaite des choses célestes et les changements incessants des choses sublunaires.
Mais l’astronomie nouvelle ne se présente pas chez Platon comme une simple hypothèse ; elle vise en effet à restaurer et à justifier rationnellement une très antique idée religieuse dont la physique était la négation et contre laquelle s’acharnaient au IVe siècle les derniers représentants, des Ioniens ; c’est l’idée d’une opposition de valeur religieuse entre le ciel et la terre, le ciel contenant des êtres divins et étant lui-même de nature divine. L’astronomie inclut donc en elle toute la chaleur d’une conviction religieuse, et c’est sur elle que Platon, dans les Lois , bâtit la religion qu’il impose aux citoyens. L’âme ou mouvement qui se meut lui-même, qui a l’initiative de tous les autres mouvements, est en effet, à ses yeux, une supposition nécessaire du nouveau système du monde ; c’est l’âme qui, par ses mouvements propres dont
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