Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
final, Il n ’ y a point de flux des formes substantielles ; la forme substantielle qui, comme cause finale, a dirigé la série des modifications qui ont amené la matière à la recevoir, reste stable et identique : la science, avec ses concepts stables, pénètre les choses mouvantes elles-mêmes.
Il reste pourtant des propriétés communes à tout mouvement, et qui, toutes, tiennent de l ’ infinité : c ’ est le continu, le fait d ’ exister en un temps et en un lieu et peut-être même dans le vide. Ces sortes de milieux continus, temps, lieu, vide, p.207 n ’ introduisent-ils pas des non-êtres absolus, indifférents à la forme, non dominés par elle ? Telle est bien la manière dont se présente le problème : comment rendre relatifs à la forme ou à l ’ essence, ces milieux qui réclament pour eux l ’ indépendance ? ou encore : comment revenir d ’ une théorie mathématique de l ’ espace et du temps, qui commençait à naître, à une théorie physique du lieu et de la durée, qui rattache à l ’ essence de l ’ être son lieu et sa durée, comme y sont rattachées sa couleur et sa figure, et qui voit, dans la notion du lieu, non pas l ’ intuition d ’ un milieu universel et indifférent, mais une notion générale née de la comparaison des lieux occupés par les corps ?
Dans la représentation de l ’ infini, du lieu, du vide, du temps, du continu, il y avait contre la métaphysique de la substance une mine d ’ objections : d ’ abord la vieille représentation ionienne de cet infiniment grand, où des mondes innombrables et sans cesse renaissants peuvent puiser sans fin la matière de leur renouveau ; puis l ’ idée platonicienne plus raffinée de l ’ infini qui voyait dans la dyade indéfinie du grand et du petit un absolu indépendant qui, en se combinant avec l ’ Un, formait les essences, l ’ idée tout à fait parente d ’ un espace ou lieu, indépendant des essences éternelles et où ne peuvent apparaître que les images de ces essences ; la réalité indépendante que Démocrite donnait au vide qui devenait chez lui cette monstruosité d ’ une substance sans essence ; la théorie platonicienne d ’ un temps image de l ’ éternité qui forçait à nier la véritable substantialité de toutes les choses temporelles ; enfin une théorie de la continuité qui aboutissait à ne voir dans l ’ univers qu ’ un mouvement unique ; voilà tout ce qui parut à Aristote incompatible avec sa notion de la substance [304] . Aussi s ’ agit-il moins pour lui d ’ étudier ces notions en elles-mêmes que de les élaborer de manière à les mettre en accord avec sa théorie de l’être ou de les nier, si l ’ accord est impossible.
p.208 C ’ est ainsi que le seul argument qu ’ il donne contre la thèse platonicienne de l ’ infini comme réalité séparée et absolue, c ’ est que toute réalité de ce genre est une substance, que, partant, elle est individuelle ; tandis que l ’ infini ne peut être que divisible [305] . Voilà donc l ’ infini ramené à n ’ être que l ’ attribut d ’ une substance. Comment et dans quel sens peut-il être un attribut de la substance, sans en compromettre l ’ unité et l ’ indivisibilité ; telle est la question qui commande toute la théorie. D ’ abord il ne peut y avoir de corps sensible infiniment grand ; un corps est, en effet, par définition, ce qui est limité par des surfaces ; ce corps ne pourrait d ’ ailleurs avoir aucune structure physique imaginable ; s ’ il était composé, il ne pourrait l ’ être que d ’ éléments eux-mêmes infinis ; car, à supposer un élément fini, il serait nécessairement absorbé par les éléments infinis, à qui leur grandeur infinie confère une puissance également infinie ; les éléments du corps prétendu sont donc tous infinis ; mais alors ils occupent chacun tout l ’ espace et se pénètrent mutuellement, ce qui est absurde. Mais ce corps ne peut davantage être simple ; car il n ’ y aurait plus de changement, puisque le changement n ’ a lieu qu ’ entre les contraires. On ne peut dire davantage de lui ni qu ’ il est homogène, puisque cette homogénéité parfaite supprime la distinction des lieux, du haut et du bas, et par conséquent les mouvements locaux naturels qui n ’ ont d ’ autre raison, comme on va le voir, que la tendance d ’ un corps à regagner son lieu propre ; il n ’ est pas
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