Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
est naturel ou volontaire, il doit avoir sa raison dans la substance elle-même : comme le mouvement du coureur du stade a sa raison dans sa volonté de gagner le prix, le mouvement du feu a sa raison dans la nature du feu, qui a son lieu naturel dans les régions élevées. Ainsi, le mouvement circulaire a sa condition dans la nature de la substance du ciel, cette cinquième essence, différente des quatre éléments et dont la propriété essentielle est de pouvoir se mouvoir régulièrement. La simplicité du mouvement circulaire vient donc non pas de la simplicité de sa trajectoire, mais bien de l’unité d’intention qu’il manifeste ; simplicité veut dire unité de fin, et n’a pas égard à la complexité du mouvement pris en lui-même.
Voilà donc en quel sens le mouvement circulaire peut être un mouvement unique, simple et continuel, seul capable de réaliser le mouvement perpétuel que cherchaient les anciens physiciens. Or, ce mouvement perpétuel est, d’autre part, absolument nécessaire ; car il n’y a pas de temps sans mouvement, puisque le temps est le nombre du mouvement ; et le temps n’a pas commencé, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’instant dont on puisse dire qu’il est l’instant initial du temps, puisque tout instant présent n’existe qu’à titre de limite entre le passé et l’avenir. Le mouvement circulaire du ciel est donc un mouvement perpétuel et nécessaire sans commencement ni fin ; n’étant pas un mouvement entre des contraires, il n’a pas de point initial. Il n’y a pas de cosmogonie ; il n’y a pas d’origine temporelle de l’ordre des choses célestes ; les schèmes de l’astronome sont devenus une réalité ; l’astronomie mathématique, fondée sur l’observation et l’analyse, se transforme en une physique dogmatique [311].
A cette physique céleste se lie étroitement la théologie. La substance du ciel a la puissance de se mouvoir d’un mouvement p.218 circulaire ; cette puissance, c’est sa matière qui est la matière locale ou topique, c’est-à-dire la simple possibilité de changer de lieu, sans altération ni changement d’aucune autre sorte [312]. Mais cette possibilité qui, on l’a vu, doit éternellement se réaliser, qui la fait passer à l’acte ? Qui est le moteur ?
IX. — LA THÉOLOGIE
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De Platon, Aristote garde la notion du contraste entre des mouvements qui paraissent spontanés, tels que ceux du feu qui monte, de la pierre qui tombe, de l’être vivant qui se meut et s’arrête au gré de son désir, enfin de la course infatigable du ciel, et des mouvements qui sont dus à des poussées ou à des tractions. Leur thèse commune, c’est d’affirmer le caractère original et primitif du premier genre de mouvements, le caractère dérivé du second genre. Ceux-ci ne sont en effet intelligibles que par rapport aux premiers, puisqu’ils consistent à s’opposer à eux, principalement en faisant mouvoir des corps pesants dans une direction autre que leur direction spontanée vers le bas ; la mécanique n’est proprement que l’art de construire des machines telles que le levier, la balance, le coin, pour produire ces mouvements violents et contre nature pour l’usage de l’homme. Il s’ensuit qu’il est tout à fait inintelligible et même contradictoire de chercher comme les atomistes une explication mécaniste des mouvements du premier genre ; la perception commune, l’expérience, donne raison à cette thèse et s’oppose pour longtemps au développement de la géniale intuition de Démocrite, avec laquelle disparaîtrait toute la théologie d’Aristote.
Ces mouvements primitifs ont donc des moteurs qui ne sont point des corps, et dont l’action n’est pas mécanique ; ce sont, p.219 pour les platoniciens, des âmes, c’est-à-dire des mouvements qui se meuvent eux-mêmes ; le platonisme des Lois et celui de l’ Épinomis est une véritable restauration de l’animisme ; cette force spontanée qu’est l’âme existe non seulement chez l’animal mais pénètre l’univers entier dont elle dirige les moindres détails, depuis le mouvement des cieux jusqu’aux changements des éléments. Contre cette confusion, Aristote proteste ; là où le platonisme cherche unité et continuité, il distingue et hiérarchise : le mouvement d’un élément qui gagne son lieu propre, celui d’un être vivant, celui des cieux ne sont pas produits par des moteurs de même espèce. Le
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