Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
réaliser du même coup la raison en sa propre conduite. Cette sorte de philosophie-bloc, qui impose à l ’ homme de bien une certaine conception de la nature et de la connaissance, sans possibilité de progrès ni d ’ amélioration, est une des choses les plus nouvelles qui soient en Grèce et qui rappellent les croyances massives des religions orientales.
De là aussi la difficulté de commencer et l ’ indécision dans l ’ ordre des parties, dont on ne peut découvrir la hiérarchie puisqu ’ on les atteint du même coup ; si l ’ on s ’ accorde à commencer par la logique, la physique a tantôt le second rang parce qu ’ elle contient la conception de la nature d ’ où dérive la morale, tantôt le troisième parce qu ’ elle a comme couronnement une théologie qui, selon un texte formel de Chrysippe, est le mystère auquel la philosophie a pour fonction de nous initier [419] . On voit donc le stoïcisme graviter tantôt vers la pratique morale, tantôt vers la connaissance de Dieu ; hésitation dont on verra mieux plus tard le sens et la portée.
V. — LOGIQUE DE L ’ ANCIEN STOÏCISME
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La théorie de la connaissance consiste précisément à faire rentrer dans le sensible le domaine de la certitude et de la science que Platon en avait soigneusement écarté. La vérité et la certitude sont dans les perceptions les plus communes, et elles n ’ exigent aucune qualité qui dépasse celles qui appartiennent à tout homme, même aux plus ignorants ; la science, il est vrai, n ’ appartient qu ’ au sage ; mais elle ne sort pas pour cela du sensible, et elle reste attachée à ces perceptions communes dont elle n ’ est que la systématisation.
La connaissance part en effet de la représentation ou image (φαντασία), qui est l ’ impression que fait dans l ’ âme un objet réel, impression analogue, pour Zénon, à celle d ’ un cachet sur p.301 la cire, ou, pour Chrysippe, à l ’ altération que produisent dans l ’ air une couleur ou un son. Cette représentation est aussi, si l ’ on veut, comme un premier jugement sur les choses (ceci est blanc ou noir) qui se propose à l ’ âme et auquel l ’ âme peut donner ou refuser volontairement son assentiment (συγκατάθεσις). Si elle le donne à tort, elle est dans l ’ erreur et a une opinion fausse : si elle le donne à juste titre, elle a alors la compréhension ou perception (κατάληψις) de l ’ objet correspondant à la représentation ; et il faut bien voir que, dans ce cas, elle ne se contente pas de conclure l ’ objet de l ’ image, mais elle le saisit immédiatement, et avec une certitude parfaite ; elle saisit non pas les images, mais les choses ; telle est, au sens propre du mot, la sensation, acte de l ’ esprit, très distinct de l ’ image.
Mais pour que l ’ assentiment ne soit pas erroné et amène à la perception, il faut que l ’ image soit elle-même fidèle ; cette image fidèle, qui constitue dès lors le critère ou un des critères de la vérité, est la fameuse représentation compréhensive (φαντασία κατάληπτικός) ; compréhensive, c ’ est-à-dire non pas capable elle-même de comprendre ou de percevoir (ce qui n ’ aurait aucun sens, puisque la représentation est pure passivité, et non pas agissante), mais capable de produire l ’ assentiment vrai et la perception. Le mot compréhensif indique donc la fonction et non la nature de cette image ; et lorsque Zénon la définit « une représentation imprimée dans l ’ âme, à partir d ’ un objet réel, conforme à cet objet, et telle qu ’ elle n ’ existerait pas si elle ne venait pas d ’ un objet réel », il ne fait que préciser son rôle sans dire ce qu ’ elle est : la représentation compréhensive est celle qui permet la perception vraie et même qui la produit avec la même nécessité qu ’ un poids fait baisser le plateau d ’ une balance. Mais qu ’ est-ce qui la distingue d ’ une image non compréhensive ? Voilà une question à laquelle, selon les Académiciens, les Stoïciens n ’ auraient jamais répondu, et, en effet, il est difficile de trouver une réponse. Sans doute faut-il dire, puisque la représentation compréhensive nous p.302 permet de ne pas confondre un objet avec un autre, que c ’ est celle où passe la qualité propre et en quelque sorte personnelle qui, selon les Stoïciens, distingue toujours un objet de tout
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