Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
pour avoir soutenu que l’âme était l’harmonie du corps, les avait fréquentés, et il nous a laissé les noms de quatre d’entre eux [417]. Or, Alexandre Polyhistor, un polygraphe du I er siècle avant J.-C., nous a laissé un résumé d’une cosmologie pythagoricienne, tiré de Notes pythagoriciennes. Cette cosmologie est très apparentée, dans ses détails, et avec les opinions des p.296 physiciens ioniens de la dernière période (Alcméon, Diogène) et avec celles des médecins du IV e siècle : théorie des deux couples de forces, chaud et froid, sec et humide, dont l’inégale distribution produit les différences de saisons dans le monde et les maladies dans le corps ; caractère divin de la chaleur, cause de vie, dont les rayons, émanés du soleil, produisent la vie des choses ; âme, fragment de l’éther chaud mélangé au froid et immortelle comme l’être dont elle émane, nourrie des effluves du sang ; raison d’où émanent les sensations ; autant de traits qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer, comme on l’a fait jusqu’ici, par une influence tardive des Stoïciens sur des néopythagoriciens du II e ou du I er siècle, puisqu’ils se retrouvent tous dans une époque antérieure au stoïcisme. Certains d’ailleurs, comme la triple division de l’âme en raison (φρένες) intelligence (νου̃ν)et cœur (θυμόν)ont, par la première expression dont elle se sert, une couleur très archaïque. Ce pythagorisme, imprégné d’idées physiques et médicales, a donc précédé le stoïcisme. Remarquons d’ailleurs que la théorie de l’âme harmonie d’Aristoxène de Tarente, est en liaison étroite avec les idées médicales ; le caractère musical de la métaphore disparaît presque lorsque cette harmonie est comparée à la santé du corps et réside dans la part égale que les quatre éléments ont à la vie du corps [418] ; c’est en revanche la théorie médicale de la vie et la théorie cosmologique des Pythagoriciens d’Alexandre Polyhistor.
Ainsi se reconstituait le vitalisme médical, qui diverge si fort du mécanisme mathématique vers lequel tendait Platon ; et c’est bien à une tradition ionienne (visible d’ailleurs jusque dans le monde mathématisé de Platon, considéré par le Timée comme un être vivant) que se rattache le monde animé des Stoïciens. Mais ces influences admises, le principal reste encore inexpliqué. Dans la place que les Stoïciens donnent à Dieu, p.297 dans la manière dont ils conçoivent le rapport de Dieu avec l’homme et avec l’univers, il y a des traits nouveaux que nous n’avons jamais rencontrés chez les Grecs. Le Dieu hellénique, celui du mythe populaire, tout autant que le Bien de Platon ou la Pensée d’Aristote, est un être qui a pour ainsi dire sa vie à part et qui, dans son existence parfaite, ignore les agitations et les maux de l’humanité comme les vicissitudes du monde ; idéal de l’homme et de l’univers, il n’agit sur eux que par l’attrait de sa beauté ; sa volonté n’y est pour rien, et Platon blâme ceux qui croient que l’on peut le fléchir par des prières ; Platon avait, il est vrai, condamné aussi les vieilles croyances admettant un dieu jaloux de ses prérogatives ; mais la bonté qu’il opposait à cette jalousie est une perfection intellectuelle dont l’ordre du monde est comme le rayonnement, elle n’a rien d’une bonté morale. Sans doute aussi, à côté de ces Olympiens, les Grecs connaissaient en Dionysos un dieu dont les morts et les renaissances périodiques donnaient un rythme à la vie de ses fidèles ; le fidèle s’associe au drame divin ; éprouvant et jouant en quelque sorte la passion du dieu, il s’unit à lui par l’orgie mystique au point de ne plus faire qu’un avec lui ; dans le culte bachique non plus, le dieu ne descend donc pas jusqu’à l’homme mais le laisse monter jusqu’à lui.
Mais le Dieu des Stoïciens n’est ni un Olympien ni un Dionysos ; c’est un Dieu qui vit en société avec les hommes et avec les êtres raisonnables et qui dispose toute chose dans l’univers en leur faveur ; sa puissance pénètre toutes choses, et à sa providence n’échappe aucun détail, si infime qu’il soit. On conçoit d’une manière toute nouvelle son rapport à l’homme et son rapport à l’univers ; il n’est plus le solitaire étranger au monde, qui l’attire par sa beauté ; il est l’ouvrier même du monde, dont
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