Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
autre, celle qui, selon Sextus, possède un caractère propre (ίδιωμα) qui la distingue de tout autre, ou, selon Cicéron, celle qui manifeste d ’ une manière particulière les choses qu ’ elle représente.
La représentation compréhensive, commune au sage et à l ’ ignorant, nous donne ainsi un premier degré de certitude ; la science, propre au sage, n ’ est rien que l’accroissement de cette certitude qui ne change pas de domaine, mais devient tout à fait solide ; la science, c ’ est la « perception solide et stable, inébranlable par la raison [420] ». Il semble bien que la solidité de la science est due à ce que, chez le sage, les perceptions se confirment et s ’ appuient les unes les autres, de manière qu ’ il en puisse voir l ’ accord rationnel ; l ’ art, déjà, qui est intermédiaire entre la perception commune et la science, est pour eux, un « système de perceptions rassemblées par l ’ expérience, visant à une fin particulière utile à la vie » . On voit ainsi la raison grouper et renforcer les unes par les autres les certitudes isolées et momentanées des perceptions. La science, c ’ est la perception sûre parce qu ’ elle est totale, ce qui revient à dire qu ’ elle est systématique et rationnelle.
Zénon résumait d ’ une manière pittoresque toute cette théorie de la certitude. « Il montrait sa main ouverte, les doigts étendus, et disait : « Telle est la représentation » ; puis, ayant légèrement plié les doigts : « Voici l ’ assentiment » , disait-il. Puis, ayant fermé le poing, il disait que c ’ était là la perception ; enfin, serrant son poing droit fermé dans sa main gauche :« Voici, disait-il, la science qui n ’ appartient qu ’ au sage [421] . » C’est dire, si on lit bien ce passage de Cicéron, que la représentation, compréhensive ou non, ne saisit rien, que l ’ assentiment p.303 prépare la perception, enfin que la perception seule saisit l ’ objet et plus encore la science.
On voit en quel sens, fort restreint, les Stoïciens peuvent s ’ appeler des sensualistes ; il n ’ y a d ’ autres connaissances que celles des réalités sensibles, c ’ est vrai ; mais cette connaissance est, dès son début, pénétrée de raison et toute prête à s ’ assouplir au travail systématique de la raison. Les notions communes ou innées, telles que celles du bien, du juste, des dieux, notions qui sont formées chez tous les hommes à l ’ âge de quatorze ans, ne sont nullement dérivées, malgré l ’ apparence, d ’ une source de connaissance distincte des sens ; toutes ces notions dérivent de raisonnements spontanés partant de la perception des choses ; la notion du bien, par exemple, vient d ’ une comparaison, par la raison, des choses perçues immédiatement comme bonnes [422] ; la notion des dieux vient, par conclusion, du spectacle de la beauté des choses ; seulement ces raisonnements sont spontanés et communs à tous les hommes.
De là, il résulte que les divers Stoïciens pouvaient, sans se contredire, choisir des critères de la vérité fort différents : la représentation compréhensive, comme Chrysippe ; l ’ intelligence, la sensation et la science, comme Boéthus : ou encore, comme Chrysippe, la sensation et la prénotion ou notion commune ; tous ces critères, au fond, se correspondent, s ’ enchaînent et s ’ équivalent, puisqu ’ il s ’ agit toujours soit de l ’ image qui amène nécessairement la perception, soit de la perception et de sa liaison avec d ’ autres. L ’ activité intellectuelle ne peut consister que dans l ’ acte de saisir l ’ objet sensible ; on ne peut qu ’ abstraire, ajouter, composer, transposer, sans jamais sortir des données sensibles [423] .
A côté des choses sensibles, il y a ce qu ’ on peut en dire, ce qu ’ on peut exprimer par le langage, en un mot, l ’ exprimable p.304 (λεκτόν) ; la représentation d ’ une chose est produite dans l ’ âme par la chose même ; mais, ce qu ’ on peut en dire, c ’ est ce que l ’ âme se représente à l ’ occasion de cette chose, ce n ’ est plus ce que la chose produit en l ’ âme [424] . Il y a là une distinction d ’ une importance capitale pour comprendre la portée de la dialectique chez les Stoïciens. Car la dialectique porte non pas sur les choses, mais sur les énoncés vrais ou faux relatifs aux choses. Les
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