Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
révolution ? » Robespierre assurait, de son côté, qu’il connaissait peu Marat ; qu’avant le 10 août, il n’avait eu qu’une seule conversation avec lui, après laquelle Marat, dont il n’approuvait pas les opinions violentes, avait trouvé ses vues politiques tellement étroites, qu’il avait écrit dans son journal qu’il n’avait ni les vues, ni l’audace d’un homme d’état.
Mais c’était lui qui était l’objet d’un déchaînement plus grand, parce qu’on le redoutait davantage. La première accusation de Rebecqui et de Barbaroux n’avait pas réussi. Peu de temps après, le ministre Roland fit un rapport sur l’état de la France et sur celui de Paris ; il y dénonça les massacres de septembre, les empiétements de la commune, les menées des agitateurs. « Lorsqu’on rend, disait-il, odieux ou suspects les plus sages et les plus intrépides défenseurs de la liberté, lorsque les principes de la révolte et du carnage sont hautement professés, applaudis dans des assemblées, et que des clameurs s’élèvent contre la convention elle-même, je ne puis plus douter que des partisans de l’ancien régime ou de faux amis du peuple, cachant leur extravagance ou leur scélératesse sous un masque de patriotisme, n’aient conçu le plan d’un renversement, dans lequel ils espèrent s’élever sur des ruines et des cadavres, goûter le sang, l’or et l’atrocité ! »
Il cita, à l’appui de son rapport, une lettre, dans laquelle le vice-président de la seconde section du tribunal criminel lui apprenait que lui et les plus illustres des Girondins étaient menacés ; que, selon l’expression de leurs ennemis, il fallait encore une nouvelle saignée, et ces hommes ne voulaient entendre parler que de Robespierre.
À ces mots, celui-ci court se justifier à la tribune : Personne, dit-il, n’osera m’accuser en face. – Moi, s’écrie Louvet, un des hommes les plus résolus de la Gironde. Oui, Robespierre, poursuit-il en le fixant de l’œil, c’est moi qui t’accuse. Robespierre, dont la contenance avait été assurée jusque-là, fut ému ; il s’était une fois mesuré aux Jacobins avec ce redoutable adversaire, qu’il savait spirituel, impétueux et sans ménagement. Louvet prit aussitôt la parole, et, dans une improvisation des plus éloquentes, il ne ménagea ni les actions, ni les noms ; il suivit Robespierre aux Jacobins, à-la commune, à l’assemblée électorale, « calomniant les meilleurs patriotes ; prodiguant les plus basses flatteries à quelques centaines de citoyens, d’abord qualifiés le peuple de Paris, puis absolument le peuple, puis le souverain ; répétant l’éternelle énumération de ses propres mérites, de ses perfections, de ses vertus, et ne manquant jamais, après avoir attesté la force, la grandeur, la souveraineté du peuple, de protester qu’il était peuple aussi. » Il le montra se cachant au 10 août, et dominant ensuite les conjurés de la commune. Il en vint alors aux massacres de septembre ; il s’écria : « Elle est à tous, la révolution du 10 août. » Et il ajouta, en s’adressant à quelques Montagnards de la commune : « Mais celle du 2 septembre, elle est à vous ! elle n’est qu’à vous ! et vous-mêmes ne vous en êtes-vous pas glorifiés ? Eux-mêmes, avec un mépris féroce, ne nous désignaient que les patriotes du 10 août ! Avec un féroce orgueil ils se qualifiaient les patriotes du 2 septembre ! Ah ! qu’elle leur reste, cette distinction digne du courage qui leur est propre ! qu’elle leur reste pour notre justification durable et pour leur long opprobre ! Ces prétendus amis du peuple ont voulu, rejeter sur le peuple de Paris les horreurs dont la première semaine de septembre fut souillée… Ils l’ont indignement calomnié. Il sait combattre, le peuple de Paris ; il ne sait point assassiner ! Il est vrai qu’on le vit tout entier devant le château des Tuileries, dans la magnifique journée du 10 août ; il est faux qu’on l’ait vu devant les prisons, dans l’horrible journée du 2 septembre. Dans leur intérieur, combien les bourreaux étaient-ils ? Deux cents, pas deux cents peut-être ; et au-dehors que pouvait-on compter de spectateurs attirés par une curiosité vraiment incompréhensible ? Le double tout au plus. Mais, a-t-on dit, si le peuple n’a pas participé à ces meurtres, pourquoi ne les
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